To Élise Carron (sœur de Julie)   4 janvier 1806

4 janvier 1806

Ma chère sœur, j'ai été à Lyon après 10 mois d'absence et à peine nous sommes-nous vus quelques instants. Les circonstances en ont décidé ; mais combien j'en aurais de chagrin si je ne pensais que ma présence n'aurait pu que te faire sentir plus vivement notre douleur. Tu verras dans la lettre que j'écris à ta maman de bonnes nouvelles de la santé de ton frère, de sa femme, de ses enfants et des parents que tu as ici. Je t'écris le soir, la lune éclaire mélancoliquement ma chambre qui est plus à l'unisson de mon âme que celle que j'occupais l'année passée. Elle est sur une petite cour où personne ne passe ; il n'y a point ici de petits oiseaux qui viennent sur ma fenêtre comme au Palais-Bourbon, ni de beaux marronniers comme ceux que je voyais de ma chambre tout chargés de fleurs. J'en suis bien aise, car ces marronniers et ce dôme des Invalides qui semblait sortir de leur touffe me faisaient faire de trop tristes réflexions.

J'ai eu, il n'y a pas longtemps, de bien bonnes nouvelles de mon petit ; mais je n'en ai point de Mme Périsse. J'écris en même temps à Marsil de m'en donner. Que te dirai-je, ma bonne sœur ? Ma vie coule toujours dans la même uniformité. Le temps où je ne travaille pas n'est rempli que de pensées sombres. Depuis que je suis ici, un jour de ma vie ç'en est tous les jours. J'espère une autre place et ne serai pas plus content quand je l'aurai ; mais je n'ai pas à me plaindre, voilà comme passent leur triste vie la plupart des hommes ! Adieu, ma chère sœur, pense quelquefois à moi, quand tu le pourras sans trop t'affliger, et sois bien sûre que personne ne désire plus vivement que tu fusses heureuse si cela était possible. Oh puisses-tu du moins être moins tourmentée ! Puisses-tu comme moi tomber dans cette apathie où l'âme ne sent presque plus qu'elle souffre, parce qu'elle ne se sent plus elle-même ! Ton frère A. AMPÈRE

A Mademoiselle Élise Carron, chez Mme Carron, rue du Griffon, à Lyon.

Please cite as “L285,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L285