To Claude-Julien Bredin   mai 1807

[Fin mai 1807]

Bredin, vous pensez sans doute dans ce moment à l'infortuné qui vous est cher. Tout est fini pour lui, il faut vous le dire. Mais comment vous le faire comprendre, je ne le comprends pas moi-même. Oui, mon ami, je m'attends à être mis hors de ma maison un de ces jours. Il y a longtemps que Mme Ampère ne me parle plus, ne me répond plus, au seul moment de la journée où je me trouve avec elle 1. M. Potot a osé me répéter deux fois que, si je voulais éviter une séparation, il fallait faire le sacrifice de toutes mes opinions à celles de ma femme, et des choses plus incroyables encore ; j'ai tout supporté. L'espoir de revoir l'enfant de l'angélique et malheureuse Julie, d'embrasser ma pauvre mère et vous, mon ami, voilà ce qui me soutient. Puis la même voix crie toujours au fond de mon cœur que, si Dieu m'a abandonné, je l'ai mérité en l'abandonnant le premier. Me rendra-t-il cette grâce de la foi ? J'ai prié avec ardeur ce matin ; je croyais vivement alors, mon âme s'élevait doucement vers le ciel  ; mais ce que je sentais il y a quelques heures me semble un songe à présent. Je me rappelle ce jour où je reçus la confirmation à Saint-Jean ; de quels sentiments d'amour divin n'étais-je pas pénétré ! Six mois après j'ai pu douter. Dans certains moments je me trouve absurde de méconnaître la main qui voudrait me soutenir ; dans d'autres, je me rappelle toutes les contradictions, les impossibilités que j'ai cru voir dans le christianisme. Mais, quand j'ai cru les voir, mon cœur était déjà corrompu. Je prie et je doute. Bredin, c'est bien ardemment que je vous dis d'obtenir de Dieu qu'il m'éclaire, qu'il me console ; car je sens au dedans de moi des mouvements détestables. Mon ami, je vous presse contre ma poitrine. A. AMPÈRE

(2) Après la scène qui eut lieu vers le 15 mai, Ampère resta encore jusqu'au 26 juin.

Please cite as “L312,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L312