From Pierre-Simon Ballanche   25 juin 1807

[1] Lyon ce 25 juin [1807]

Je reçois à l'instant, mon cher Ampère, votre dernière lettre et je me hâte d'y répondre. Le projet vous convient ; c'est bien ce que je désirais. Nous discuterons les obstacles quand ils se présenteront. A présent, il ne s'agit que de ne pas voir les obstacles et de ne voir que le projet d'autant plus que je crois qu'il n'y a pas d'obstacle insurmontable pour cet objet. Le voyage que nous proposons est une chose utile, nous pouvons l'exécuter, nous sommes disposés l'un et l'autre à y employer tous nos moyens et toutes nos facultés. Nous sommes bien forts. Vous avez parfaitement saisi mon idée. Ce n'est point un voyage comme celui d'Espagne que nous devons faire. Le plan que nous devons embrasser est beaucoup plus vaste. Je ne vous l'indiquais pour modèle seulement pour une partie de notre plan. Le projet que je vais m'occuper de rédiger me prendra plus de temps que vous ne croyez. Déjà je me suis mis sur la trace de tous les voyages de ce genre qui ont été faits ; je les consulterai pour prendre une idée plus détaillée ; jusqu'à présent je n'ai que l'idée générale. Mais nous nous sommes entendus. Vous pourriez en attendant consulter de votre côté si le temps et les autres circonstances de votre vie actuelle vous le permettent ; vous pourriez, dis-je, consulter de votre côté ces grands voyages à la Bibliothèque impériale et me communiquer vos idées que je fondrais dans mon projet. M. Millin vient d'imprimer un voyage[2] dans le Midi de la France. Ce voyage n'est que croqué ; il a été fait cependant aux frais du gouvernement ; jetez-y aussi un coup d’œil si vous en avez l'occasion. Je n'en ai point parlé à Camille Jordan. Je crois inutile de l'en entretenir avant d'avoir arrêté nos idées. Je ne pourrai cependant pas moins faire que de lui en faire part, puisque c'est par moi que Degérando doit en recevoir la communication. Camille pourrait être fâché si je m'adressais directement à Degérando sans passer par la filière de lui Camille. Dites-moi ce que vous pensez à cet égard. Jetez aussi un coup d’œil sur les statistiques qui s'impriment à Paris par ordre du gouvernement. Enfin, méditez cet objet et faites-moi part du résultat de vos méditations. Quant à moi, je vais m'en occuper, comme du projet le plus convenable et le plus exécutable qui puisse se présenter à mon imagination. Je vous ai dit toutes les choses qui font que j'y tiens extrêmement. Mon cher Ampère, croyez en cet augure, nous ne mourrons pas sans que notre passage sur la terre ait laissé quelque trace. Je vous assure que cette idée me fait du bien : puisse-t-elle vous en faire aussi beaucoup à vous !

A présent, je vous en conjure, modérez un peu[3] toutes les idées douloureuses qui vous assiègent ; voyez le terme de vos maux ! Vous me parlez d'aller cet automne à Paris. Je vais plus loin que vous, je crois que cet été, tout doit se décider et que nous pourrons partir à l'automne pour une première tournée. Ce ne sera sûrement pas moi qui y apporterai obstacle. Je vais travailler sans relâche au projet à soumettre au Ministre, je vous l'enverrai aussitôt qu'il sera prêt, vous y ferez vos notes, je refondrai le tout, j'en ferai alors l'ouverture à Camille et je vous l'adresserai pour que vous puissiez le présenter. Je ferai en sorte que Camille l'appuie, je tâcherai de lui monter la tête et je partirai pour aller vous chercher et vous enlever à cette ville maudite. Nous verrons comme le monde est grand. Vous me laisserez la conduite du voyage parce que je suis plus accoutumé aux voyages que vous et que j'ai plus la tête à moi.

Ce que vous me dites de votre femme me chagrine extrêmement ; mais que voulez-vous y faire ? Vous ne pouvez ni refaire ses idées ni détruire ses préjugés. Le meilleur est de vous absenter pour quelque temps mais ne vous absentez pas sans but, n'ayez pas l'air de fuir, vous perdriez tout. Soyez sûr, mon cher Ampère, qu'elle vous aime, et qu'elle souffre dans la proportion autant que vous. Ainsi n'irritez pas les chagrins et ne la quittez pas avant d'avoir un motif, j'entends un motif tel que celui que je propose.

Adieu, je vous embrasse un million de fois. Votre bien bon ami SIMON.

[4]à M. Ampère, chez M. Beuchot, rue Saint-André-des-Arts, n° 58, faubourg Saint-Germain, à Paris

Please cite as “L315,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L315