To Claude-Julien Bredin   juillet 1807

[Juillet 1807]

Qu'on ne me parle pas de redevenir heureux ! Hélas ! on sait que c'est l'impossible ; mais puissè-je retrouver la lumière ! Oui, je sens toujours au fond de mon âme que Dieu n'a pas dû créer l'homme pour cette misérable existence. Dès qu'il lui en réserve une autre, il n'a pu le laisser dans ces ténèbres de la terre et, s'il lui a révélé quelque chose, c'est par Jésus-Christ. Mon ami, voici une preuve du christianisme qui m'y ramènerait entièrement si j'étais moins abandonné. Mais j'ai beau m'irriter contre moi-même, tout sentiment d'amour divin m'échappe : comment croire sans charité ?

Je ne vois rien de contradictoire dans les vérités religieuses. Dieu peut tout ; mais je ne vois plus les raisons qui me portaient à croire que la religion catholique soit inspirée par lui ; les objections vagues que je réfutais dans un temps meilleur se présentent à mes yeux. Je me dis que, si cette religion était l'ouvrage de Dieu, il l'aurait répandue davantage, qu'elle fait un dogme du malheur éternel ; que cette idée me révolte parce que, si le genre humain devait être toujours malheureux, il ne l'aurait pas créé... ; que sais-je ? Je sens bien que tout cela ne signifie rien puisque je ne peux embrasser le système entier des êtres intelligents, que j'ignore les rapports qui existent entre eux. Le malheur, le bonheur sont-ils quelque chose de réel ? Pourquoi est-ce que je vis ? Et voilà toujours ces ténèbres de la métaphysique ; je n'y comprends plus rien, comme aux mathématiques, à tout le reste. Je ne sais plus lier deux idées. Quel funeste sort !

Ah ! Bredin, que votre affection ne se lasse point. Travaillez à me ramener aux sentiments qui peuvent seuls me donner un calme relatif. Et cette longue lettre qui devait me faire du bien, quand viendra-t-elle donc ? Oh, étonnante faiblesse de l'esprit et du cœur de l'homme ! Auriez-vous pu croire il y a quatre ans qu'il viendrait si vite le jour où vous seriez forcé de prouver à votre tour la vérité et la divinité du christianisme à celui-là même qui alors avait tant de peine à vous en convaincre ? Adieu. Je vous serre sur mon cœur.

Please cite as “L319,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L319