To Claude-Julien Bredin   7 juillet 1807

[Mardi 7 juillet 1807]

Mon ami, après les moments que je viens de passer, je peux désormais tout souffrir. Comment ne suis-je pas mort en m'entendant dire de sortir de la maison par celle qui avait attaché son existence à la mienne, envers laquelle je voulais être reconnaissant et dévoué ! Je n'aurais pas dû me faire répéter deux fois de la quitter. Telles ont été ses dernières paroles.

J'ai appris hier la naissance de mon enfant ; le portier du Ministère fut chargé de me l'annoncer. On ne m'a pas écrit ; mes lettres à moi sont restées sans réponse ; tant mieux, elles ne m'auraient apporté que de nouvelles insultes. J'ai su que cette enfant, destinée peut-être à ne pas connaître sa mère, était une fille. Ah ! Bredin, pourquoi suis-je venu à Paris ? Pourquoi ai-je été sourd à la voix qui me retenait à Lyon ? Le récit des peines qui m'attendaient ici me serait aussi inutile qu'impossible ; je dois chercher plutôt à en détourner mes pensées, à les porter sur cet automne, où je vous reverrai, où nous nous promènerons ensemble sur ces montagnes dont le souvenir me fait battre le cœur. Dans cinq ou six semaines, j'irai à Poleymieux ; oui, le courage me reviendra auprès des miens, en embrassant mon fils, en revoyant ces bois où j'ai goûté tant de douces émotions, où le ciel m'a accordé tant de grâces. Près de vous qui m'aimez toujours, malgré les faiblesses et les misères de mon âme que je vous montre à nu, peut-être retrouverai-je les sentiments qui m'élevaient au-dessus de moi-même ! Parlez de mon chagrin à ceux qui s'y intéressent ; dites-leur ce que vous jugerez convenable, mais que tout cela ne se répande pas trop !

Vendredi (10 juillet) - J'ai interrompu cette lettre trois jours, pour vous dire que ma fille Anne-Joséphine-Albine est née lundi 6 juillet. J'ai signé son acte civil hier à la municipalité, où je l'ai vue 1. Il n'y avait qu'elle, son parrain et sa nourrice. Adieu.

(2) L'acte, au 3e arrondissement, porte comme présents : M. Désarnaud, architecte, 59 ans ; Bocquet, notaire, 39 ans ; Marie-Anne Commarmond, épouse Potot, aïeule maternelle et Jean-Baptiste Potot. Le père assiste au baptême à Saint-Vincent-de-Paul, le 14 juillet, le parrain est M. Désarnaud ; la marraine, Mme Potot. Comme Ampère n'a pu se tromper sur ces faits, cela donne à craindre quelque altération du texte par Mme Cheuvreux.

Please cite as “L323,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L323