To Joseph-Marie Degérando   17 septembre 1807

17 septembre [ou décembre] 1807

Mon cher ami, Je viens d'écrire à notre excellent ami 1 pour lui témoigner toute la joie que j'ai de l'accessit que l'Académie de Berlin a sûrement accordé à son Mémoire d'après la lettre que vous m'avez fait lire ce matin. Pendant que je lui écrivais, il m'est venu en pensée qu'une des plus belles et des plus importantes questions psychologiques, une de celles, peut-être, qui se lient le plus près à la morale, serait une question à peu près dans ce sens : Quelle est l'influence de l'activité propre de l'être sentant et pensant sur ses sensations, ses idées, ses jugements, ses déterminations et, en général, sur tous les phénomènes intellectuels et moraux qu'il présente ? Il me semble que c'est surtout en traitant une question semblable qu'on pourrait éclaircir les questions les plus importantes de la psychologie, soit sur la liberté métaphysique, sans paraître n'écrire que sur ce sujet qu'on regarde comme épuisé et qui est si loin de l'être, soit sur plusieurs autres points plus ou moins liés à celui-là et auxquels cette liaison donne un plus haut degré d'intérêt. J'ai pensé que, dans votre lettre à M. Ancillon, vous pourriez peut-être lui parler de cette question par matière de conversation et comme pensant que ce serait une de celles qui présenteraient le plus d'intérêt.

Trois motifs m'engagent à vous faire part de cette idée. L'Académie de Berlin est la seule en Europe qui propose des questions psychologiques. Il serait bien à désirer qu'elles donnassent lieu à revenir sur un point si important. Dans une des leçons du Dr Gall, j'ai vu un homme très respectable et dont le déisme (est) reconnu et la réputation d'une moralité dont personne ne doute, M. d. d. n., répondre en ces propres mots à ce qu'avait dit le docteur s'appuyant sur l'autorité de Bonnet, j'ai écrit sa phrase sur mon cahier de notes à mesure qu'il l'énonçait : Cela est vrai, on se décide d'après des motifs ; se déterminer contre les motifs ce serait absence de raison ; se déterminer contre les motifs serait folie. Opinion qui n'est pas tout à fait du fatalisme, mais qui y conduit par des conséquences que je crois rigoureuses, et qui est malheureusement adoptée aujourd'hui, je ne dirai pas par les idéologues, mais par beaucoup des plus gens de bien. Enfin, c'est mon troisième motif, il serait inutile de parler directement de la question sur la liberté ; c'est une question qu'on regarde comme usée, et plus scolastique que psychologique. L'Académie de Berlin ne la proposerait certainement pas ; mais celle que je vous ai indiquée paraît nouvelle, et dans le genre de celles que cette Académie propose ordinairement. Si vous pensez à cet égard comme moi, vous saurez assez prendre, dans votre lettre à M. Ancillon, le tour convenable pour le porter à suggérer cette question à l'Académie de Berlin.

En vous écrivant, je reçois une lettre de Maine de Biran, où cette note qu'il me prie purement et simplement de faire insérer le plus tôt possible dans le Moniteur et dans les feuilles économiques de Courcier. Je crois bien qu'il y a certitude complète que c'est à lui qu'est décerné l'accessit. Moi, je ne ferai rien à cet égard sans votre avis. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de toute mon âme. A. AMPÈRE

(2) Maine de Biran.

Please cite as “L337,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L337