To Claude-Julien Bredin   1808

[1808 ou 1809]

[illeg] Examinez bien, je vous en conjure, mon cher Bonjour (car c'est à vous à présent que je viens d'écrire tout cela, et non à Bredin qui secoue la métaphysique comme la poussière de ses pieds), examinez ce tableau, en le comparant, pour le bien comprendre, à ce que je vous ai laissé sur ce sujet ! Puis dites-moi oui ou non, avec vos motifs, si vous avez le temps ; mais toujours oui ou non, soit sur le nouveau phénomène introduit dans le tableau, soit sur les deux changements de dénomination du jugement et de la contuition.

Tâchez d'engager Bredin à en conférer avec vous, décidez à vous deux ; mais que Bonjour me fasse part le plus tôt qu'il lui sera possible de la décision de ce tribunal ! Pour l'y engager, si ce n'est assez du plaisir qu'il fera à un pauvre malheureux qui n'a plus de plaisir dans le monde que celui de recevoir des lettres de Lyon, on lui dira que la décomposition de la potasse et de la soude, oxydes de deux nouveaux corps combustibles métalliques, découverts par M. Davy à Londres, est attaquée par quelques mauvaises raisons fondées, suivant moi, sur des mésentendus, quoique les expériences aient complètement réussi à Paris. J'ai vu débrûler et rebrûler ces substances métalliques ; elles brûlent avec des étincelles rayonnantes semblables à celles du zinc brûlant, ce qui me paraît prouver complètement la fausseté de l'hypothèse qu'on oppose à la découverte de Davy, en disant que la potasse, corps simple, se combine avec l'hydrogène, et que c'est cette combinaison qui offre le brillant métallique qu'on prend pour un métal. Cette hypothèse, qui semble un réchauffé de celle de Kirwan, combattue dans le temps par Lavoisier et Berthollet, savoir que l'hydrogène était le phlogistique et entrait comme élément dans tous les métaux, n'a pas laissé que d'être accueillie comme probable par la plupart des chimistes, même par Thénard.

Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de toute mon âme.

Je reviens à toi, cher Bredin, pour te dire combien ta dernière lettre, écrite du fond de ton cœur, m'a profondément touché. Si j'y avais répondu sur-le-champ, l'expression des mêmes sentiments eût rempli la mienne. Mais je ne travaille tout le jour qu'à écarter ces idées ; je me plonge sans regarder devant moi dans l'abîme extérieur. Que ne puis-je, comme toi, descendre dans celui de mon propre être, tous deux sans fond, tous deux également inexplicables. O altitudo ! Il est certain que je ne conçois pas comment les coups que Dieu fait tomber sur moi (peut-être en Dieu miséricordieux, peut-être en Dieu vengeur) ne brisent point ce rocher ! Il est toujours là qui m'oppresse. Je n'étais pas né pour ce vide d'amour. Mon ami, pense donc sans cesse à moi ; que n'ai-je de tes lettres tous les jours ! Combien je serais moins méchant et moins misérable ! Il est 2 heures après minuit, il faut te quitter.

Adieu, tu sais si je t'embrasse tendrement.

Please cite as “L342,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L342