To Pierre-Simon Ballanche   1er novembre 1808

[881] Paris Mardi 1er novembre 1808

J'ai reçu hier au soir, mon cher ami, votre lettre du 24 octobre ; je me lève de bien bonne heure pour y répondre. Vous me dites que vous attendez à Avignon la réponse de trois lettres ; j'ai répondu à deux. La réponse est adressée à M. Ballanche fils, à Avignon, poste restante ; cela me fait craindre que vous l'ayez demandée comme autrefois sous le nom de Basset, et qu'en conséquence vous ne l'ayez pas eue. Peut-être en sera-t-il de même de celle-ci à qui je mettrai la même adresse ; cela me désole ; mais si j'y mets le nom de Basset, vous demanderez sous celui de Ballanche fils, et la lettre ne sera pas remise.

[882]Je ne sais où j'en suis, et, plus je rêve à cela, moins je vois ce qu'il faut faire pour qu'elle vous parvienne. Mon cher ami, si ce n'était tous vos chagrins, comment auriez-vous pu négliger de me marquer juste votre adresse à Avignon : soit en me répétant l'ancienne sous le nom de M. Basset, soit en m'en donnant une autre ?

Ce sont eux aussi qui ont dicté cette lettre d'hier qui m'a fait tant de plaisir en me donnant de vos nouvelles et qui m'a tant tourmenté par l'impossibilité d'y rien comprendre. Ah, Ballanche, vous qui m'avez tant reproché de me tourmenter à la moindre incertitude, que voulez-vous que je devienne en rapprochant ces deux passages : J'ai le moins pu réussir qu'il était possible [883] et les choses doivent à présent s'arranger toutes seules ; sinon, entre deux abîmes, j'aurai choisi le moindre. Au lieu de me donner un mot qui fixât un peu les vaines conjectures où je m'abîme à mon tour, vous me parlez de tout autre chose. Mon ami, les choses peuvent donc encore s'arranger toutes seules ; mais quel est cet abîme que vous aurez évité ?

Un mot, je vous prie, qui puisse donner quelque repos à mon esprit. J'ignore ce qui pourra arriver au sujet de la place d'inspecteur pour l'Académie de Lyon ; j'en parlerai à Philibert, si je puis le voir, car on ne le trouve presque jamais. Maman et ma sœur sont bien[884] sensibles à votre souvenir ; bibi et ça petit vous embrassent bien et leur papa aussi. Je suis obligé de vous quitter... En sortant, je mettrai cette lettre à la poste, et je vous en écrirai une autre dès que j'aurai vu Philibert.

Mon ami, tâchez de calmer les agitations de votre cœur ; pensez à ce qui m'est arrivé ! Ne semblait-il pas, il y a bientôt trois ans, que toute félicité de ma vie dépendait d'un succès que je n'ai obtenu que pour qu'elle fût empoisonnée à jamais ! Qui sait si ce que nous désirons si vivement ne serait pas une source de malheurs pour vous ? Si, à cette heure, votre affaire ne s'arrange pas, il faudra en conclure que vous êtes la victime d'une méchanceté raffinée, que vous vous êtes tout[885] à fait trompé sur l'opinion que vous avez eue des personnes avec lesquelles vous avez désiré d'associer votre existence. Pourquoi la croire perdue sans ressource quand il vous reste des amis ? Venez à Paris, mon cher Ballanche, si ce malheur vous arrive : peut-être pourrais-je, dans ce cas, contribuer à adoucir vos chagrins ! Mais de quoi vais-je parler ! Espérons plutôt que ces vains obstacles disparaîtront, qu'on vous conserve la foi qu'on vous a promise ou du moins l'équivalent. Alors, vous serez heureux autant qu'on peut l'être sur la terre, et, au lieu d'employer autant qu'il aurait été en moi ma vie à adoucir vos peines, je la passerai à applaudir à votre succès, à jouir de votre bonheur et je dirai qu'il n'est pas vrai qu'il n'y en[886] ait pas de véritable sur la terre.

Mais je reste toujours à m'entretenir avec mon ami, tandis que le temps me presse au delà de toute expression. Adieu, Ballanche, soyez heureux, le plus heureux des hommes, et aimez-moi toujours comme je vous aime et vous embrasse !

poste restante à Avignon (Vaucluse)

Please cite as “L353,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L353