To Claude-Julien Bredin   juin 1809

[Juin 1809]

Cher Bredin, déjà un mois d'écoulé depuis que tous mes tristes pressentiments se sont réalisés. Il a plu à Dieu de nous frapper encore. Pendant ces rudes moments, les instants dont je pouvais disposer appartenaient à ma pauvre mère. Je préparais la nuit les leçons que je devais donner à l'école Polytechnique, et souvent je ne savais pas ce que j'allais dire, tant l'inquiétude et l'accablement du sommeil me dominaient. Ce dernier malheur a rouvert bien des plaies ; je ne trouve de soulagement que dans cet excès de travail dont je me plains et je me sens encore incapable d'écrire, même à toi. Au nom de notre amitié, place dans ton amphithéâtre des verres où soient versés en parties égales de l'acide sulfurique et du salpêtre afin que les émanations putrides n'altèrent pas ta santé !

[12 juin ?] Mon ami, qu'est-ce que mon intérieur sans ma pauvre mère ? En rentrant chez moi, quelle douceur indéfinissable de la voir, de l'entendre parler ; toutes ses paroles me reviennent en mémoire, je ne la verrai plus, je ne l'écouterai plus ! Il y a sur mon cœur un poids qui m'écrase. Mon Jean-Jacques se porte bien, c'est une consolation. Malheureusement ce petit, qui me donne une grande satisfaction du côté de l'intelligence et de sa facilité à tout apprendre est devenu si révolté, surtout avec ma pauvre sœur, il abuse tellement de sa faiblesse que je ne sais plus que devenir. Tout le monde veut me persuader que je le perdrai absolument si je ne le mets tout à fait en pension. On m'indique celle de l'abbé Roche. M. Hallé, de l'Institut, a mis son fils dans cette maison. Mme Carron, Tesseyre, Guéneau de Mussy, Mme Delambre et jusqu'à Ballanche me tourmentent pour prendre ce parti. Mais c'est alors que ma demeure sera vide. Quel isolement ! Ce qui me désole, c'est que Jean-Jacques ne s'afflige nullement d'entendre parler de tous ces projets ; il semble, sans oser l'avouer, ne pas demander mieux que de me quitter. Adieu, mon ami, il m'est affreux de passer ainsi des jours loin de toi 1.

(2) Le 7 août 1809, Ampère est inscrit parmi les personnes ayant le droit d'entrer aux séances de l'Académie, soit pour avoir remporté un prix ou présenté deux mémoires.

Please cite as “L355,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L355