To Claude-Julien Bredin   29 novembre 1809

29 novembre 1809

Que la lettre que je viens de recevoir de toi, mon cher ami, m'a fait à la fois de plaisir et de chagrin, comme j'ai joui d'y lire les expressions de la plus tendre amitié, mais combien j'ai souffert des reproches que tu m'y fais d'avoir été si longtemps pour t'écrire. Comment pouvais-tu douter que je te répondisse ? Ce que tu me dis à ce sujet m'a navré. Peut-être que Ballanche t'a montré la lettre que je lui ai écrite il y a quelques jours. Je lui disais l'impossibilité où j'avais été de vous écrire à l'un et à l'autre. Je le priais de te la faire lire. Ah, pardonne-moi, mon bon ami, je n'aurai plus de repos que quand tu m'auras écrit que tu ne m'en veux plus. Comment pourrai-je être un instant sans penser à toi lorsque non seulement la plus tendre amitié nous unit à jamais, mais encore quand tu es le seul que je connaisse, dont l'âme ressemble à la mienne. En lisant ce que tu me dis, de ce sentiment qui te porte sans cesse dans le passé, je croyais lire mon histoire. Le présent, le reste de ma vie ne sont plus rien pour moi. Je tâcherai d'aller à Lyon au printemps. Mais je n'ai nulle certitude que cela se puisse. Cependant, combien mon cœur en aurait besoin. Ton absence et celle de tous mes plus chers amis le confirment. Je me repens toujours de plus en plus, mais toujours plus inutilement d'avoir quitté Lyon. Ces retours de ma pensée dans ces temps qui ne sont plus me font encore plus de mal qu'à toi, me détournent encore plus de tout ce dont je devrais m'occuper.

Mon bon ami, tu n'as donc pas reçu toutes mes lettres ; il y a près de deux mois que mon pauvre petit est en pension ; je te l'ai écrit dans le temps. Je t'ai dit combien ce changement dans ma vie avait achevé de me troubler et de me la rendre pénible. D'après ta lettre, tu ne le sais pas encore. Tu n'avais pourtant pas peu contribué à m'y résoudre. Tu me demandes des nouvelles de ma sœur ; elle se porte bien, et passe sa vie à s'occuper de ma petite Albine. Sa vie doit être ennuyeuse ; mais elle est très tranquille, malgré la perte irréparable de la meilleure, de la plus tendre, de la plus aimée des mères. Elle est accoutumée à se résigner à tout.

A l'égard des Martyrs * j'en ai été charmé. C'est un des plus beaux romans que j'aie lus. Quoique j'en mette quelques-uns au-dessus, j'ai défendu celui de M. de Chateaubriand dans plusieurs discussions, car on ne s'est pas moins disputé ici qu'à Lyon pour le mérite de cet ouvrage ; le style en est plein de grandeur et d'harmonie, la plupart des épisodes sont admirables, et je crois que ce n'est qu'en suivant ses traces qu'on peut établir une mythologie moderne, dont la poésie ne peut se passer, si, comme le disent les littérateurs, il ne peut point y avoir de poème épique sans merveilleux. Je te prie quand tu l'auras lu avec attention, et il le mérite bien, de m'en dire ton avis de la manière la plus détaillée que tu pourras. Je n'ai jamais entendu parler d'un ouvrage de M. Degérando sur la religion, ni manuscrit ni imprimé. Je voudrais bien savoir ce qu'on dit à ce sujet à Lyon. A l'égard de la chimie, je ne saurais y faire de découvertes puisque je ne peux faire d'expérience. Je me borne à réfléchir sur celles qu'on a faites depuis peu et dont la plupart ne sont pas encore publiées, ce qui fait que je n'en ai que des notions très vagues. Néanmoins, j'aperçois beaucoup de conséquences qui vont lui faire faire des pas immenses, ou même la changer de face. Ce que tu me dis de notre petite Marie-Agathe m'a fait un [illeg]

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