To François Carron (frère de Julie)   12 juillet 1800

12 juillet [1800]

[De Julie] Mon bon ami, c'est bien tard que je réponds à ta lettre. Si tu pouvais savoir quelle privation ça été pour moi, je ne demanderais pas autre chose pour que tu fusses bien persuadé de toute l'amitié de taJulie qui pense bien souvent à toi et qui regrette encore plus dans ce moment de ne pas pouvoir embrasser son frère et son bon ami. Tu as été malade, mon pauvre Carron, et point de femme, point de sœur n'avait soin de toi 1. On me dit que tu es maintenant bien rétabli. Je désire que ce soit la vérité et que ton affaire s'arrange de manière qu'elle te ramène près de nous, de ta femme, de ta petite élisa qui devient tous les jours plus gentille et plus jolie 2. Cependant elle te ressemble, c'est ce qui étonne bien des gens. Je voudrais bien savoir comment je me tirerai de la grande affaire qui m'attend. J'aimerais bien mieux te donner une nièce qu'un neveu ; mais, pourvu qu'il soit bien portant et bien constitué, c'est la principale chose pour moi. Je suis à peu près comme ta femme pour la santé. Elle est partie hier pour Collonges et, je pense, l'air de la campagne lui fera beaucoup de bien et puis elle aura plus de repos, car sa petite est bien pénible. Adieu mon bon ami, adieu ; je t'embrasse de toute mon âme. Si tu étais dévot comme autrefois, je te dirais de prier Dieu pour que ta Julie fût heureuse mère ; mais, sans de grandes prières, les vœux de mon frère pour sa bonne amie seront sûrement exaucés par Celui qui voit lorsqu'on les fait de bon cœur. Adieu, adieu, mon bon Carron ; tes nouvelles me font grand plaisir. Ne juge pas par les apparences et sur le silence j'ai gardé avec toi, car il a tant fallu travailler pour avoir tout ce qui m'était nécessaire pour ma couche et puis aller voir Maman qui a toujours mal à son genou. Tout cela et mon déménagement ne m'ont pas laissé de liberté pour ce qui m'aurait fait plaisir. Car je n'ai pas vu ta femme bien souvent chez elle, mais beaucoup chez Maman. Adieu encore, je t'embrasse comme je t'aime, et tu sais si c'est de tout mon cœur. Ta sœur JULIE AMPÈRE.

[D'Ampère] J'attendais toujours, mon frère, que Julie ait le temps de t'écrire pour mettre mon griffonnage dans sa lettre ; car, depuis que nous ne sommes plus qu'un, nous ne devons pas écrire séparément, surtout à un frère que nous aimons tous deux également ; car, quoique tu sois le sien avant d'être le mien, je la défie de s'intéresser davantage à toi. Aussi lui ai-je dit plus de vingt fois : Julie, quand écriras-tu donc à ton frère ; mais toujours de nouvelles occupations, pas un moment de liberté et, quand elle allait prendre la plume, une visite survenait et dérangeait ses bonnes dispositions. Elle me faisait attendre une lettre pour toi, comme elle m'avait fait attendre le jour de nos noces. Enfin la voilà écrite, cette lettre, avec plus d'amitiés qu'elle ne m'en a jamais écrites. On obtient tout à la fin de ma Julie, car elle est bonne ! oh bien bonne ! Et l'on est bien dédommagé de l'attente. Grâce à tout cela, ta petite nièce commence à faire dans le monde un personnage important qui devient tous les jours plus visible.

Je vois que ma Julie t'a donné des nouvelles de ta femme et d'Élisa qui s'amuse à faire enrager sa maman en attendant qu'elle puisse faire enrager ceux qui l'aimeront un jour. C'est, je crois, l'amusement favori des demoiselles. Il faut prendre patience, car elles nous en dédommagent bien en changeant d'état. Adieu, mon bon ami, mon frère. J'espère que le peu d'exactitude de Julie ne t'empêchera pas de nous donner de tes nouvelles, tu serais cause que je lui en voudrais pour la première fois de ma vie. Je t'aime et t'embrasse de toute mon âme, Ton frère A. AMPÈRE

Au citoyen Carron, Hôtel du cercle du Commerce, rue de la Loi, N° 152, près des Boulevards à Paris.
(2) Carron était parti seul pour Paris à la fin d'avril. Sa famille ne vint le rejoindre qu'en mars 1801.
(3) Née le 31 octobre 1798. Trois autres enfants dont on ne parle pas auraient dû avoir alors 5 ans, 4 ans, 3 ans. Étaient-ils morts ?

Please cite as “L37,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L37