To Jacques Roux-Bordier   1811

[1811 ?]

Combien vous devez m'en vouloir, mon cher ami. Je ne sais comment me justifier qu'en vous expliquant pourquoi je ne vous ai pas répondu plus tôt. D'abord, votre première lettre ne m'a pas été remise. Pour que les lettres m'arrivent sans retard, il vaut mieux adresser à M. Ampère, Ins. gén. de l'Un.,cour du Commerce, n° 19, près la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés. Sachant par la seconde lettre qu'il y en avait une autre, il s'est passé plusieurs jours pendant que je cherchais à l'avoir, plusieurs avant de la retrouver, plusieurs à vouloir prendre des informations sur ce dont vous me parliez dans cette lettre. Alors est venu ce moment où je n'ai plus eu le temps de manger ni de dormir. Enfin, cette lettre est commencée depuis trois jours et Dieu sait quand je la finirai, car voici quelqu'un qui vient me parler et je ne puis écrire devant lui.

J'ai encore pris, mon cher ami, divers renseignements sur les diverses questions que vous me proposiez dans votre première lettre. Mais tout ce que j'apprends, tout ce que je vois à ce sujet n'est nullement favorable à votre projet. D'abord, pas de places vacantes ; le minimum du nombre étant passé depuis longtemps et le maximum presque atteint, on pense assez généralement qu'il n'y en a que trop. Secondement, autant il était facile d'obtenir ces places lors de la formation du corps, autant il est difficile d'y parvenir aujourd'hui. Tous les motifs dont vous me parlez sont de ceux dont on parle beaucoup, mais d'après lesquels malheureusement on ne prend point de déterminations. La circonstance que vous prétendez devoir me faire désirer le succès de cette affaire, est un tel épouvantail pour tant de personnes que cette seule raison le rend à peu près impossible. Si elle n'a pas été un obstacle pour le savant aussi respectable qu'éclairé qui vous a parlé de notre petit déjeuner, c'est qu'à cette époque on était bien plus accommodant. En un mot, je ne vois dans le projet en question que des difficultés, à moins qu'un prince ou un grand dignitaire de l'Empire ne prenne à votre ami un assez grand intérêt et ne le recommande assez fortement pour lever tous les obstacles.

M. Maine de Biran est toujours dans sa sous-préfecture, où il restera jusqu'à l'ouverture du corps législatif. Il a envoyé au concours un Mémoire sur le sujet proposé par l'Académie de Copenhague : L'influence mutuelle des connaissances physiologiques et psychologiques 1. Il n'a point vu mon tableau dans son ensemble ; mais je lui en ai parlé à son dernier voyage et nous avons discuté, tant alors que par lettres, les bases sur lesquelles il repose. J'attends son retour pour le lui montrer en entier et lui en expliquer toutes les parties. Vous me ferez un bien grand plaisir, mon cher ami, en m'envoyant vos observations sur ce sujet.

Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur. Tout à vous. A. Ampère

à M. Roux-Bordier l'aîné, à Genève, Léman
(2) Maine de Biran a été à la fois député et sous-préfet de Bergerac de septembre 1810 à 1814. Le concours en question date la lettre de 1811.

Please cite as “L371,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L371