To Claude-Julien Bredin   23 juin 1811

[53] Avignon le dimanche 23 juin [1811]

Cher ami, notre tournée a été abrégée de plus de huit jours, par une lettre du grand maître qui nous a dispensés d'aller à Rodez. Ma crainte est à présent que tu ne sois pas à Lyon quand j'y passerai, l'indication que je t'avais donnée se trouvant fausse à présent. Nous arriverons probablement à Lyon le lundi 1er juillet ; cependant je n'ai jamais eu plus besoin de te voir, de causer avec toi  ; la vie m'est insupportable sans que j'aie aucun sujet de chagrin autre que les anciennes catastrophes de ma vie. Je ne sais ce que c'est que cette inquiétude vague qui me tourmente. Il me tarde d'être à Lyon, d'être de retour à Paris, de voir couler le temps : il est trop lent pour moi ! Je désire trop vivement de savoir ce qu'il doit me révéler d'enseveli encore dans son sein.

Les choses les plus disparates m'agitent également : la chimie, le concile 1 et autre chose encore ! A ce dernier égard, qui est malheureusement toujours le principal pour moi, j'ai reçu à Montpellier une lettre charmante, mais qui ne montre aucun changement dans la position de toutes choses. Il y a seulement quelques jours que je l'ai reçue à mon second passage à Montpellier où elle m'attendait. Près d'un mois sans nouvelles ! Tu conçois bien quelle était mon impatience. Mais le plaisir de la voir finir n'a pas été[54] tel qu'il l'aurait été s'il avait trouvé mon âme dans une autre situation. J'étais dans la profonde mélancolie où m'avaient mis des réflexions inspirées par l'événement le plus singulier arrivé à un de mes deux compagnons de voyage. Il faut donc toujours que j'apprenne à connaître le cœur humain pour avoir de plus vifs sujets d'inquiétudes relativement à ce qui m'intéresse le plus ! Des choses comme cela m'atterrent.

Mon ami, je n'ai point eu de tes nouvelles depuis ma première arrivée à Montpellier ; encore était-ce une vieille lettre ! As-tu reçu celle que je t'ai écrite ? As-tu fait le voyage que tu projetais ? Sera-t-il utile à ta santé ? Consiste-t-il à aller à Vals ou à Vichy ? Comment se porte toute ta famille et toi-même ? Voilà les questions que je me fais tous les jours, que je te fais parce qu'elles sont dans ma pensée et non pour que tu y répondes par écrit, car je ne pourrais guère recevoir ta lettre avant d'être[55] à Lyon ou du moins en route ; mais tu y répondras de vive voix, de demain en huit.

J'ai enfin fait un voyage dans une contrée où tout porte à l'admiration. J'ai vu les Pyrénées et Carcassonne ; j'ai navigué deux jours entiers sur ce canal du Midi que je regarde encore comme le plus bel ouvrage construit par les hommes, si l'on songe au but et au succès. J'ai revu les arènes et le pont du Gard... Croirais-tu que les courses et combats de taureaux, dont il n'y avait pas eu d'exemple depuis fort longtemps, ont été rétablis dernièrement à Nîmes. Trois ou quatre hommes tués et plus de quinze blessés !

Adieu, mon bon ami, tu sais que, s'il m'était possible de t'écrire plus longtemps, ton ami ne te quitterait pas si vite. A. Ampère

[56]A monsieur Bredin fils professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, près des portes de Vaise, à Lyon (Rhône)
(2) Il s'agit probablement du concile de Paris en 1811, présidé par le cardinal Fesch.

Please cite as “L382,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L382