To Pierre-Simon Ballanche   24 juin 1811

[911] Avignon 24 juin [1811]

Mon bon ami, tu ne m'as point écrit comme je l'espérais, tu as dû recevoir de moi une petite lettre de Marseille... Je ne sais pas ce qui se passe à Lyon, car Bredin ne m'écrit plus. Je vais être incessamment près de vous, je crois d'aujourd'hui en huit, et il n'y a pas d'impossibilité absolue que j'y arrive plus tôt ; car tout sera fini ici jeudi ou vendredi, et c'est notre dernier Lycée. Je verrai M. Grivelly, si cela m'est possible, pour t'en donner des nouvelles ; en arrivant chez toi, je t'en demanderai de ta famille et de tous nos amis. Je crains bien de trouver Bredin absent. Je lui avais mandé que je ne serais guère à Lyon que du 7 au 8 juillet ; j'y serai au plus tard le 1er. Mon ami, j'ai fait un voyage charmant. Nous étions tous séparés ; j'ai navigué seul sur le canal du Languedoc de Carcassonne à Agde, port sur la Méditerranée. J'ai passé sous la montagne percée pour le passage du canal, sur les ponts, aqueducs, etc. J'ai vu de la colline que le nouveau bras du canal sépare de Carcassonne, le plus beau pays de la terre, terminé d'un côté par les Pyrénées, de l'autre par la Montagne[912] Noire où Riquet fut chercher des eaux assez élevées pour alimenter le canal ; d'une autre encore, par la Montagne d'Alaric, où il a laissé les ruines des fortifications qu'il y avait bâties ; et ces deux villes de Carcassonne, celle du Moyen Age, pleine des traces de la chevalerie, et la nouvelle bâtie pour le commerce et les arts.

J'ai une autre chose dont il faut que je te parle, cher ami. Cette interminable affaire de Guérin 1, la verrai-je enfin terminée quand je passerai à Lyon ? Si tu pouvais tout arranger pour cela avec l'homme d'affaires, tu me rendrais un vrai service. Je te prie aussi de faire passer à François Delorme 2 la lettre ci-jointe, il m'est très important qu'il la reçoive le plus tôt possible. Je l'eusse envoyée à Bredin si je ne craignais qu'il fût absent. S'il ne se présente pas d'occasion sûre, tu prendras le moyen de la faire porter par quelqu'un ; car tu sais que la poste ne[913] va qu'à Chasselay où les lettres restent ordinairement plusieurs jours avant d'être rendues par des occasions à Poleymieux : ces occasions étant en général beaucoup plus rares que celles de Lyon pour Poleymieux. Je suis bien ici avec M. Guéneau [Guéneau de Mussy]. M. Izarn ne viendra nous joindre que demain ou après-demain ; il aura visité Arles et Tarascon ; nous l'avons laissé pour cela à Nîmes. J'ai voyagé deux ou trois jours avec lui seulement, il s'est ouvert librement avec moi en me racontant ses aventures, etc. Il y en a de très piquantes. Quel plaisant contraste nous faisons à nous trois ! Il se moque bien de moi, etc. Mais il ne me changera pas. J'ai d'ailleurs des nouvelles qui me mettent l'esprit plus tranquille ; avant, j'ai été bien mélancolique. Adieu, cher ami ; je t'embrasse de toute mon âme ; mes respects et mes compliments à toute ta famille. A. Ampère.

Je viens de recevoir de bonnes nouvelles de ma sœur et de mes enfants.

[914]A monsieur Ballanche fils imprimeur, aux Halles de la Grenette, à Lyon (Rhône)
(2) Il s'agit de la créance Guérin dont Ampère avait reçu une partie par son contrat de mariage.
(3) François Delorme est le fermier de Poleymieux.

Please cite as “L383,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L383