To Claude-Julien Bredin   27 août 1811

[81] Mardi 27 août [1811]

Cher ami, il y a 2 heures que j'ai ta lettre écrite de Poleymieux. Quel plaisir elle m'a fait ! Je commence à y répondre à moitié endormi. Mon petit à qui je faisais faire des règles d'arithmétique vient de se coucher. Il est avec moi à présent à cause des vacances. Tu as donc revu Poleymieux et mon souvenir t'y a suivi ! Tu me fais des reproches bien fondés. Mais tu sais que M. Andrieux, chargé de ma première lettre, m'avait annoncé son départ de Paris comme beaucoup plus prompt qu'il ne l'a été. La seconde lettre, tu l'as peut-être déjà reçue ou elle te parviendra demain. Quand tu les auras toutes les deux, tu verras que, si j'ai tant tardé, ce n'est pas faute d'avoir pensé à toi.

Mais, il est sûr qu'en me promettant, comme Ballanche, de m'écrire les premiers et tout de suite, vous êtes cause tous deux que j'ai été si longtemps sans écrire. J'attendais chaque jour une lettre pour le lendemain. A cette heure, je suis bien fâché de ne lui avoir pas encore écrit. Et toi, mon bon ami, tu n'as pas songé à t'informer du père Manin, de sa femme et de ma filleule Anne-Marie Manin. Tu me[82] l'avais pourtant bien promis ! C'est Mlle Morandy qui t'en donnera des nouvelles que tu m'écriras le plus tôt que tu pourras. Peut-être l'a-t-elle déjà fait si M. Andrieux t'a remis la lettre où il y en avait une pour elle. Parle de moi à Camille et à d'Ambérieux ! D'Ambérieux, il n'était pas à Lyon ! Que je l'ai regretté à mon second voyage ! Deux lignes sur moi, une sur la physionomie qui me plaît, une autre sur l'homme au front ridé ! Il n'est point éloigné, je l'ai très peu vu, je le crois toujours aussi pervers ; il a pris une violente douleur de rhumatisme à ce que j'ai su indirectement. Cependant, je l'ai trouvé l'autre jour dans la rue ; il n'y paraissait pas. Nous nous parlâmes quelques moments. Je réfléchis après l'avoir quitté, je réfléchis tristement. J'ai été depuis assez longtemps dans une société où se trouvait la physionomie qui ressemble tant à la gravure dont je t'ai parlé dans une de mes deux lettres. Que la bénédiction du ciel se repose sur l'être dont les traits peignent si bien la belle âme ! Que cette bénédiction soit un asile sûr !

[83] Diverses occupations ont interrompu cette lettre. Je relis aujourd'hui la tienne pour achever d'y répondre, et je ne sais comment te rendre l'impression que me fait le récit de ton voyage à Chambéry. Hélas, pour moi, il n'y a de ces monuments, de ces souvenirs que près de Lyon, sur les routes de Saint-Germain, de Poleymieux, de ce Saint-Fortunat où nous avons approfondi des questions insolubles autant qu'il est donné à l'homme de les approfondir, et je ne pourrai jamais vivre dans ces lieux et y retrouver mes conversations avec Bredin !

Cher ami ! Comme ma vie est pénible ! Ne viendras-tu pas passer à Paris, près de moi, au moins quelques jours ? Ne pourrai-je te faire voir les personnes qui m'inspirent ici un plus vif intérêt ? Pendant que je t'écris, on m'apporte une autre lettre de toi. ô mon ami, je te remercie ; tu m'aimes donc encore comme autrefois ! Mais comment, à cette époque, M. Andrieux ne t'avait-il pas encore remis la lettre dont[84] il s'était chargé ? Mes lettres se sont-elles égarées toutes deux ? Dans mon inquiétude, je vais faire partir celle-ci sur-le-champ pour te tirer de peine.

Je t'écrirai plus au long dans deux ou trois jours par une occasion qui s'offre dans le voyage d'un ami que tu connais déjà et qui va à Lyon. Je n'ai que le temps de te dire qu'il n'y a aucun changement au tableau qui contenait quatre systèmes : le sensitif, l'autopsique, le comparatif et l'intuitif. A peine quelques mots peut-être ont reçu des modifications. Je viens d'en parler longuement avec Maine de Biran ; il était ici et vient de retourner à Bergerac. Ces longues conversations ne m'ont porté aucun changement dans ce tableau. Maine de Biran en a adopté la plus grande partie et les principales bases. Je te l'enverrai par l'occasion dont je viens de te parler avec tous les détails possibles. Ces idées sont une de mes consolations ; elles me font momentanément oublier de vifs chagrins Adieu, bon ami, tout à toi, tout à toi ! Si je me rappelle de Dupré !... Tu es bien sûr que je ferai pour son beau-frère tout ce qui dépendra de moi.

Please cite as “L389,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L389