To Claude-Julien Bredin   31 octobre 1811

[Fin octobre 1811]

[illeg] [Il ne] [157]s'agissait pas seulement d'un présent, mais de prendre auprès de Mlle Morandy, qui seule peut t'en informer, des renseignements de tout genre sur l'état plus ou moins pénible où se trouve cette famille Manin, dont la mère a été ma bonne et celle de ma sœur, et que je me reprocherai toujours d'avoir oubliée à mon passage à Lyon.

Tu vois que cette page n'a été écrite que longtemps après le commencement de ma lettre. C'est cela même qui m'a retardé. Je l'avais commencée en même temps que ce qui précède. Ayant perdu ce commencement, je le cherchais toujours au lieu de t'écrire l'équivalent comme je viens enfin de faire. Je veux charger M. Mollet de cette lettre, il faut l'achever sur-le-champ, et je suis accablé d'un tel chagrin que je ne puis lier deux idées. Mon ami, mon ami, pourquoi es-tu loin de moi, tu me délivrerais de ces tourments. Ne tenir plus à rien sur la terre ! Je me lève, je me promène pour te dire tout ce que j'aurais à t'expliquer ; point d'expressions !

Je trouve dans ta lettre un article sur ce que mes fermiers devraient avoir la clé des chambres. Je trouve que tu as raison. Range tout cela[158] absolument comme tu voudras. Je te donne une procuration universelle pour faire de Poleymieux tout ce que tu trouveras convenable.

Il faut répondre surtout à ce passage de ta lettre ; je suis bien timoré, tu riras de mes craintes, je redoute pour toi l'affliction 1. Eh bien, mon ami, sois donc complètement rassuré ! Je t'ai déjà indiqué que c'était tout le contraire. Je vais tâcher de te faire comprendre cette énigme. Ce que tu crains aurait pu peut-être me tirer d'une situation d'esprit pire que la mort. Mais mes sentiments involontaires sont toujours opposés aux indications du raisonnement. On me proposa, pour faire diversion à la douleur, de faire faire mon portrait de la même main que celui de mes enfants. Je le demandai, on l'a fait jamais je n'éprouvai de peine pareille. Tout ce que je remarquais me déplaisait. J'aurais quasi voulu pouvoir conserver quelque illusion sur les résultats fâcheux de mes observations. Tout, jusqu'à la douleur, me paraissait faux, affecté, et ce que j'éprouvais s'est tellement montré dans mon impatience à regarder, dans l'empressement de m'en aller, que rien n'était[159] plus impoli. Cela a été bien senti, plus que je n'aurais voulu ; enfin, c'est chose faite. On doit se voir de moins en moins quand on ne se convient nullement. Je sens bien que ce mouvement de la comparaison involontaire avec un être privilégié et l'idée ridicule que la vue d'un grand malheur et la supposition d'une affreuse douleur m'avaient d'abord donné que quelque chose d'analogue à l'amitié qu'une séparation pour la vie probablement me rend si pénible, pouvaient m'attacher à l'être souffrant. Mais...

Au reste, tout est pour le mieux, j'en serai plus tranquille et je n'aurais pas moins souffert. Il vaut mieux ne souffrir que pour soi. Puisse une lettre de Bredin venir au secours du cœur oppressé de son ami ! Tout le monde se porte bien et t'aime bien. Mille choses de ma part à cet excellent Dupré et à Bonjour. Donne-moi des nouvelles de tous nos amis. N'oublie aucun ! Quel affreux homme que celui dont tu me parles ! Combien n'y en a-t-il pas de semblables, parmi ceux de sa profession ! O Dieu !

[160]Mon ami, mon ami, me pardonneras-tu de ne t'avoir pas écrit plus tôt ? M'écriras-tu aussi souvent ? Autrement, que deviendrai-je ? Donne bien la clef à François, etc. afin que vous puissiez, vous tous que j'aime, visiter plus souvent les lieux où j'ai laissé le bonheur. Adieu, cher ami, mon seul véritable ami pour les pensées que je dois garder entre nous deux. Je t'embrasse mille fois de cœur et d'âme, de tout moi. Tu ne me parles point du tableau métaphysique que je t'ai envoyé.

A monsieur Bredin fils Professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)
(2) Lettre du 12 octobre 1811.

Please cite as “L396,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 3 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L396