To Pierre-Simon Ballanche   1er octobre 1811

[Vers le 1er octobre 1811]

[114]Mon bon ami, M. Verny m'a remis ta lettre. Je t'en remercie. Tu ne peux te faire une idée de l'impatience avec laquelle je l'attendais. Pardon si je n'y ai pas encore répondu. J'aurais voulu voir auparavant M. Verny qui l'a remise chez moi en mon absence ; il ne m'a laissé aucune indication de sa demeure. Dès qu'il sera revenu me voir et qu'enfin je lui aurai parlé, je t'en écrirai sur-le-champ. Sais-tu que j'accusais déjà d'oubli ton amitié et celle de Bredin. Mais son voyage l'a justifié, lui, et il m'a écrit plusieurs fois et des lettres qui ont charmé, pendant plusieurs jours, l'état pénible dont mon âme est toujours oppressée, à moins que je ne sois absorbé par quelques discussions de métaphysique ou de chimie.

Ma vie s'écoule d'une manière si singulière, dans une nullité si absolue ! L'autre jour, j'étais si incapable de toute autre occupation que je fus heureux d'avoir à lire un roman qu'on m'avait prêté. Il m'a tant agité,[115] tant fait pleurer que j'en ai été encore plus incapable de me livrer à des pensées moins pleines de ce vague pénible et doux en même temps qui absorbe toutes mes idées. Oh, que je n'aurais jamais dû venir à Paris ! Lis-le, si tu ne l'as pas lu, c'est Mathilde et Eugénie 1. Ou, comme j'espère t'écrire dans quelques jours une plus longue lettre par l'occasion de Mme Maléchard qui retourne bientôt à Lyon, je me dépêche de finir celle-ci afin que tu n'aies plus de reproches aussi graves à me faire de mon silence. J'écrirai aussi à Bonjour par Mme Maléchard. C'est un homme excellent, bien meilleur que moi. Car, à présent, ma vie n'est plus qu'une végétation sous le rapport des émotions morales comme sous celui de la félicité ; tout est anéanti !

Ma famille se porte à merveille.[116] Ma sœur et mon fils sont bien sensibles à ton bon souvenir. Quand on demande à Albine qui lui a donné le nom de ça petit, elle répond : Ballanche - L'aimes-tu ? Je l'aime bien.

Tâche donc de voir Bonjour, de voir Bredin et Camille plus souvent ! Quand pourrais-je donc les voir ? Parle tant que tu pourras de moi à Camille ! Fais nommer Bredin de l'Académie de Lyon ! Il viendra ensuite te prendre les jours de séance pour y aller avec toi à mon intention.

Comme je voudrais voir ce qu'a fait Camille sur M. Servan ! Est-ce que ce ne sera pas imprimé [avec] ce qu'on imprimera, j'espère, de ce dernier ? Puisse-t-on tout imprimer ! Tu sais que c'est mon vœu.[117] Adieu, cher et bon ami, mille choses de ma part à toute ta famille. Je t'embrasse de toute mon âme.

A monsieur Ballanche fils imprimeur aux Halles de la Grenette,à Lyon (Rhône)
(2) Ou les Mémoires de la famille du Comte de Revel, par Mme de Souza.

Please cite as “L397,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L397