To Claude-Julien Bredin   6 octobre 1811

[111] 6 8bre [octobre] 1811

Cher ami ! J'ai à répondre à deux lettres de toi ! Je te remercie de me les avoir écrites ; elles me font tant de bien, elles étaient si nécessaires à mon cœur oppressé ! Avant d'y répondre, que je n'oublie pas de te rappeler que tu ne m'as pas donné de nouvelles de ma filleule et de ses parents que je crains être dans une position bien triste. Tu as peut-être déjà oublié la commission que je t'avais donnée de lui faire un présent du premier argent que tu recevrais de François (après le raccommodage de sa fenêtre) ; tu m'avais promis de t'informer de Mlle Morandy de ce qui conviendrait le mieux, comme une robe, ou etc...

Une autre chose que tu as oubliée, car tu ne m'en parles pas : tu devais retirer chez toi trois ou quatre tableaux qui sont à Poleymieux dans la salle à manger et que l'humidité de cet hiver va entièrement détériorer, tandis qu'ils se conserveraient chez toi et y seraient bons à quelque chose. Il y a surtout une Rébecca. Fais-les, je t'en prie, venir sans[112] délai chez toi ! Paye le port avec l'argent que te remettra François, ou, ce qui est plus simple, qu'il te les apporte sur un cheval ou autrement tout de suite ! Le prix du voyage sera un à-compte qu'il aura payé sur sa ferme.

Venons à tes lettres ! Un passage de la première me ferait croire que tu n'as pas lu celle que t'a apporté Mme Maléchard. Tu me parles comme si le front ridé avait contribué au départ de Paris d'une certaine personne.

Je ne sais si la confusion de mes idées m'avait empêché de m'expliquer clairement ; mais je me souviens de t'avoir dit que ce départ était un mariage, et ce que le monde appelle un excellent parti ; car il ne pense qu'à la fortune et, à cet égard, il est vrai qu'il est au-dessus de ce qu'elle devait naturellement attendre. Mais ces mariages de convenance, je ne pourrai jamais me faire à cette idée, ni les approuver. Un homme qu'elle n'avait vu que dans son enfance, qui serait presque[113] son père ! Je suis parfaitement sûr que le projet en a été parfaitement ignoré du front ridé, dont on s'était depuis peu, à la vérité, éloigné poliment, tant la mère que la fille ; j'ai su que la chose était promise de part et d'autre avant que cet homme en eût un soupçon. Peut-être même y a-t-il eu dans cette conduite peu de franchise et j'ai personnellement aussi des reproches à faire. L'amitié aurait pu être plus confiante et moins tranquillement sensée à mon égard, si elle avait été tout ce que j'imaginais. Cependant j'aurais tort de me plaindre ; en y pensant bien, j'avais donné sujet qu'on m'en fît un mystère avant que tout fût irrévocablement arrêté. Ce mariage est fait à l'instant où je t'écris cette lettre.

Réfléchis, mon ami, à cette ligne ; devine ce que je ne peux ni ne veux t'écrire de ces regrets dont le cœur de ton ami est plein ![114] Il regrette des moments enchanteurs d'amitié et de confiance qui ne peuvent plus renaître. Il n'a plus qu'un ami.

J'ai vu aujourd'hui M. Huzard à l'Institut. Il m'a dit qu'il serait bientôt à Lyon. Je lui ai parlé de la survivance pour toi 1. Il m'a dit qu'il t'avait présenté, comme tu dois le savoir, du reste, au Ministre pour cette survivance ; mais il trouve que tu ne te mêles pas assez des affaires générales de l'établissement, que tu ne t'y rends pas assez nécessaire. Il semble désirer que, de l'aveu de ton père, tu le suppléasses dans une partie de ses fonctions.

Ballanche m'a écrit que l'on songeait enfin à te mettre au nombre des membres de l'Académie deLyon. Je ne sais pourquoi cela me ferait tant de plaisir ; je serais aux anges ! Si l'on t'en a nommé, écris-moi tout de suite ! Si ce n'est pas encore, écris-le moi dès que ce sera !

(2) Il s'agit d'assurer à Bredin la succession de son père comme directeur de l'École vétérinaire.

Please cite as “L398,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 2 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L398