To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)    octobre 1800

[1548]du Mardi soir [octobre 1800]

[hand: André-Marie Ampère]Je pense encore, ma bonne amie, au mal que tu t'es fait en te tenant éveillée pour bercer le petit, et en me faisant croire que tu allais t'endormir pour que je m'endormisse. Je me porte bien, mais je me porterais encore mieux si tu m'avais laissé bercer, et que tu eusses dormi. Mon corps serait aussi fort et mon esprit plus tranquille. Pour toi, ma pauvre petite, je suis sûr que tu as été souffrante tout le jour, et j'ai à me le reprocher. C'est pour moi que tu as voulu veiller, c'est pour moi que tu t'es rendue malade. J'ai pleuré en chemin de ma bêtise à \de/ croire que le petit dormirait sans qu'on le berçât.[1549] Je ne me la pardonnerai que quand tu me permettras d'avoir soin du petit comme tu m'as promis \de me le laisser faire/ à mon prochain voyage, et cela sans aucune condition fâcheuse. Tu ne fais pas attention, ma pauvre petite, quand tu as ainsi peur pour ma santé, que la tienne est bien plus délicate, que tu as à présent des occupations bien plus rudes, et que tu ne dors pas la moitié de ce que tu \de [ce dont tu]/ as besoin. Ma Julie, si tu n'as pas soin de toi, ton pauvre enfant ne boira pas \que/ de bon \mauvais/ lait, et il n'y aura plus pour moi ni repos ni tranquillité. La fille de Louison ne peut aller à S[ain]t-Germain que dimanche. Je voudrais bien[1550] trouver d'ici là une occasion pour t'envoyer le pâté. Du mercredi Marsil a passé tout \la journée/ hier à Bellerive, je n'ai pu le voir qu'un instant, et il repartira à une heure. Il m'a donné de bonnes nouvelles de tout le monde, et n'en portera pas de si bonnes de toi et du petit, car je n'ai pu lui cacher combien j'étais inquiet de ma Julie. Mon cœur était trop plein. Il m'a promis de n'en rien dire à ta sœur de peur de la tourmenter. Je t'en prie, ma bonne amie, si tu ne veux pas empoisonner tout mon bonheur, et me faire haïr, s'il était possible ce que j'aime le mieux après toi, trouve un moyen de dormir davantage ! Permets qu'on garde le petit en bas depuis huit heures jusqu'à onze, et dors[1551] pendant ce temps -là ! Françoise peut bien ne se coucher qu'à onze heures ; elle aura encore sept heures pour dormir \se reposer/. Tu trouveras que ce n'est pas assez, toi qui, épuisée, tout le jour et toute la nuit, tourmentée et fatiguée de toutes manières, ne dors pas deux heures d'un sommeil tranquille \calme/ ! Tu peux compter sur elle, je te réponds de sa prudence et, quand tu dormiras mieux ton petit boiras un bon lait plus reposé, et n'aura plus de colique. Son papa n'aura plus les craintes continuelles qui le tourmentent \l'agitent/ et regrettera moins de ne t'avoir pas priée à genoux de le mettre en nourrice . \Du mercredi soir/ Je donnerais à présent la moitié de ma vie pour qu'il y fût et que ma Julie, plus tranquille, [1552] pût réparer le mal qu'il a fait à ta santé. A propos de ce petit, Madame Favre a apporté deux langes, où il y a 6 l[ivres] d'étoffes et 4 s[oles] de rubans qu'elle a cousus elle-même. Je lui ai rendu ses 6 l[ivre]s, 4 s[ols]. Heureusement que tu m'as donné tes commissions par écrit, car ma tête va tout je ne sais comment et je ne me souviens de rien. Ma bonne amie, que je voudrais savoir de tes nouvelles ! Que je voudrais te revoir ! Il n'y a point de bonheur, puisque celui de ton mari ne l'est pas. Ma bonne amie, aie soin de ta santé par bonté pour lui, si tu n'es pas lasse de ne rien faire que pour son bonheur. Jamais tu ne comprendras comme je sens à présent ce que[1553] tu as fait. Tu n'y gagnes rien, puisque je suis dans une position où je ne puis rien faire pour Julie que de l'aimer, de l'aimer de tout de mon être ; mais, hélas ! Qu'est-ce que cela lui sert ? Elle n'en est pas plus heureuse. C'est une bonté de plus pour moi d'être contente que je l'aime, et le plus méchant des hommes, s'il pouvait être uni à elle, l'aimerait de même et cesserait d'être méchant. Ma bonne amie, jamais je n'ai si bien senti cela, mon cœur en est tout plein. Je donnerais je ne sais quoi pour t'embrasser une seule fois, et plus encore pour savoir de tes nouvelles. Ce que j'ai vu à S[ain]t-Germain me suit partout . J'ai plus d'inquiétude aujourd'hui qu'hier sans que je[1554] sache pourquoi. Ton petit t'a peut-être tant tourmentée que tu es malade à présent. Ce n'est probablement qu'après-demain que je saurai de tes nouvelles, et rien ne me fait plus de peine après ton absence et l'incertitude où je suis sur ta santé. Ah ! Ma Julie, pense bien que ce petit dont j'attends notre bonheur à tous deux, n'est rien pour moi en comparaison ! Je veux aller demain m'acquitter de ce que tu sais, et prier pour vous deux ; mais mes premiers vœux seront pour ma bienfaitrice. Tu m'as dit que tu n'aimais pas que je me servisse de ce mot, et je l'emploie toujours. Pardon ma bonne amie ! Si je le fais, c'est[1555] que j'y trouve toujours un nouveau plaisir et que je pense que tu ne veux pas m'envier le peu qui m'en reste loin de toi. Je t'écris tout cela après souper et, comme tu m'as défendu de veiller et que mes yeux commencent à être fatigués, je vais me coucher en pensant à toi. Adieu, adieu, ma Julie, que je voudrais t'embrasser et te dire bonsoir de plus près que je ne fais ! Bonsoir aussi, mon petit, dors bien pour que celle à qui tu dois tout ce que tu es, tout ce que tu seras jamais, puisse dormir et se reposer de toutes les peines qu'elle a prises aujourd'hui pour toi. Un baiser pour toi et mille pour ma Julie.

Please cite as “L41,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L41