From Claude-Julien Bredin   1er juin 1812

[Lundi 1er juin 1812]

[276] [illeg] Que ne suis-je avec toi dans ce beau pays de Nice ! Mais je ne saurais pas te dire, quand bien même nous serions ensemble, ce qui me cause tant d'effroi pour l'avenir. C'est un sentiment bien vif toujours ou presque toujours bien vif ; mais ce n'est presque jamais une idée claire et distincte, que je puisse rendre. Tu me croiras peut-être fou, ou plutôt imbécile, maniaque, hypocondriaque, que sais-je ? Il en est peut-être bien quelque chose ! Tu vois bien que je ne peux t'écrire ; mes nerfs sont montés ; un orage se prépare ; le ciel, sur ma tête, est d'un noir brillant comme l'ardoise. Les oiseaux crient plutôt qu'ils ne chantent. Les voix sont presque effrayantes ; j'entends des cris lointains comme des cris de détresse. Tout mon sang est porté à la tête ; mes mains tremblent. Efin je suis bien mal à mon aise [277] [illeg]

Les trois lignes que tu as transcrites me font bien du plaisir ; les réflexions que tu y ajoutes m'en font encore plus ! Il est très vrai que l'amitié et l'amour rendent heureux. Mais n'est-il pas vrai aussi que le bonheur si doux et si pur que nous donnent ces affections est, comme toutes les choses de la terre, mélangé de mille amertumes ? Qui le sait mieux que toi, mon ami ? [illeg] [278] [illeg] [279] [illeg]

Tu as bien observé la différence qu'il y a entre mon imagination et la tienne. En vérité, je suis bien heureux[280] d'avoir la foi : une foi qui devient tous les jours plus vive et plus inattaquable ; car je succomberais infailliblement à l'envie de quitter ce monde malgré tous ses charmes, afin de me délivrer d'un avenir que mon imagination (et, je crois aussi, ma raison) me montrent si effrayant. Mais, grâce à Dieu, je suis chrétien. Quel service tu m'as rendu ! Et ce bon Barret ! Que Dieu vous comble de ses grâces ! Il vous récompensera ; car je ne le puis pas, moi. J'ai essayé de faire quelque chose pour toi ; j'y ai renoncé. Tu me trouves un peu hérétique. Cela est possible. Je prie Dieu de m'éclairer [illeg]

Je ne réponds pas de ne jamais adopter les doctrines nouvelles. Le changement que tu as opéré il y a dix ans dans mes opinions me rend toute révolution dans mes idées croyable. Mais je n'ai jamais pu concevoir la religion autrement que comme je la retrouve chez les anciens, où je trouve, à quelques légères différences près, la confirmation de tout ce que je me rappelle vous avoir dit il y a dix ans à Barret et à toi [illeg] lorsque j'étais de si mauvaise humeur contre la Société chrétienne dont j'étais le secrétaire. Tu sais que, quelques jours après, j'étais devenu calviniste renforcé. Tu sais que je suis redevenu catholique ; mais avec quelles restrictions... Je ne discute plus avec personne. [illeg] Si je me trompe, je n'aurai aucun effort à faire pour revenir sur mes pas. Dieu voit que mon erreur est involontaire. Je prie avec confiance ; mes opinions ne m'inquiètent pas ; je tremble seulement pour mes œuvres [illeg]

[281]A monsieur Ampère inspecteur général de l'Université poste restante à Nîmes

Please cite as “L414,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 3 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L414