To Claude-Julien Bredin   29 juillet 1812

[227] Paris 29 juillet 1812 [mercredi]

Dès que j'eus reçu deux lettres, dimanche passé jour de mon arrivée ici, et que j'eus vu le lendemain, avant-hier matin, M. Huzard, je commençai à t'écrire ; mais, quand j'ai eu écrit deux pages et demie, j'ai trouvé mon explication si mal rendue que je ne te l'enverrai point, parce qu'elle n'était propre, ainsi abrégée, qu'à prévenir contre elle et à faire naître des objections que je n'aurais pu lever à mesure. Je sais trop, dans ces sortes de choses, l'effet d'une première impression. Si je peux, j'expliquerai plus au long mes idées à ce sujet dans un petit écrit que je ferai copier pour te l'envoyer afin que tu le communiques à Camille.

Il faut qu'il ait bien de l'amitié pour moi et une âme excellente pour m'avoir pardonné. Il faudra que j'apprenne à ne plus défendre ce que je crois la vérité, comme les défenseurs de l'erreur ont eu, dans tous les siècles, coutume de la défendre. Tu me dis que Camille regrette bien que je sois parti le mardi. Je le regrette bien davantage puisque j'ai à peu près la certitude que,[228] s'il m'eût laissé commencer l'exposition de mes deux premiers systèmes où se trouvait tout en commençant ce que tu appelles l'histoire du Limaçon et celle du Pivot, c'est-à-dire la manière dont nous découvrons l'espace, le temps et l'existence extérieure, il aurait été frappé de tant d'évidence que nous serions aujourd'hui parfaitement d'accord sur tout cela. Comme c'était par où je me proposais de commencer, j'y avais beaucoup pensé le matin et je n'avais peut-être jamais eu cela si présent. Mais maintenant, comment l'exposer suffisamment dans une lettre ? Il faudrait au moins une dizaine de pages de la manière dont j'écris gros, et encore que de détails supprimés !

Au lieu de cela, il faut d'abord que je te rende compte de ma visite de lundi chez M. Huzard. Il n'avait pas encore reçu ma liste d'élèves ; mais il me l'a fait tenir le soir, et je t'en remercie ; sans cela, j'eusse été dans un bel embarras !

Voilà deux jours, mon cher ami, que[229] je porte constamment cette lettre sur moi dans l'espoir de la finir, dans un bureau, chez un ami..., pas moyen ! Je suis de la Commission pour les prix du concours général des Lycées. C'est de 6 à 8 heures par jour à lire des copies, à discuter, et tant d'autres choses le reste du temps ! M. Huzard allait très bien ; ses embarras du bas-ventre causés par le travail assis, sont à peu près dissipés, depuis qu'il travaille presque toujours debout. Mais il est tellement surchargé d'ouvrage que, pour un mois au moins, il n'a eu et n'aura que quelques heures par jour pour dormir. Sans cela il t'aurait écrit.

Mme Huzard t'aurait écrit à sa place, à ce qu'elle m'a dit, si elle n'avait été malade. Elle est remise à présent ; mais lundi était le premier jour qu'elle ait pu descendre à son magasin. L'un et l'autre m'ont parlé de toi avec l'expression de la vraie amitié. Tu sais bien ce dont je te charge pour ta famille et pour nous tous nos amis. Je n'ai plus qu'un instant si je veux que cette[230] lettre parte aujourd'hui. Je m'en veux tant de ce qu'elle n'est pas déjà arrivée en pensant qu'il y aura demain huit jours que je suis ici. Je forme de plus en plus le projet d'écrire de suite ma psychologie.

Mais quand le pourrai-je ? J'ai trouvé un nouveau moyen de faire voir que le sentiment de penser, que l'effort est réellement le seul moi phénoménal. Tout est clair maintenant et s'explique l'un pour l'autre. Mille et mille amitiés à Camille, aussi à Ballanche et à d'Ambérieux. Je t'aime et t'embrasse de toute mon âme. Ton ami.

A monsieur Bredin fils Professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, près des portes de Vaise, à Lyon (Rhône)

Please cite as “L418,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 18 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L418