To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   octobre 1800

[1574]Du Mercredi soir [octobre 1800]

[hand: André-Marie Ampère] Je n'ai pas eu le temps de t'écrire de tout le jour, \sans t'écrire le temps/ ma bonne amie, et je l'ai trouvé bien long ; enfin me voilà un petit moment avec ma bonne Julie ; pas tout à fait avec elle, mais du moins elle lira ce que j'écris, et cela me fait bien plaisir. Il y a déjà deux jours et deux nuits que je ne t'ai \n'ai/ pas vue, et il y en a encore trois d'ici à samedi. Voilà comme sont composées à cette heure toutes mes semaines, cinq jours entiers sans voir ma bonne Julie, sans voir la maman de mon petit, sa mère nourrice qu'il empêche de dormir la nuit et qu'il tourmente tout le jour. Peut-être que j'aurai demain une de tes lettres, ce serait pour moi un beau jour. Je saurais si ma petite bienfaitrice a pu[1575] un peu dormir, si mon petit Jean-Jacques n'a plus la colique. Que je voudrais qu'il se portât bien et qu'il laissât en repos ma petite Julie. Je ne sais pas \si/ si elle se souvient de l'amandier ? Des derniers baisers qu'elle m'a donnés avant-hier. J'ai le cœur serré toutes les fois que j'y pense, et j'y pense toujours... Ma pauvre, ... ma pauvre petite, quand seras-tu bien contente, bien heureuse, comme tu mérites de l'être ? Voilà que tu vas me dire que je t' attriste  ; je veux t'égayer en te donnant des nouvelles de noces. Un poète de ta connaissance se marie, il épouse une fille unique, devine son nom ! Un métaphysicien de ta connaissance se marie, il épouse une fille[1576] unique, devine son nom ! Un mathématicien de ta connaissance se marie aussi, il épouse aussi une fille unique, devine son nom. Le nom du poète commence par un B, le nom du métaphysicien par un B, le nom du mathématicien par un B 1. Si tu trouves cette énigme trop difficile, tu n'as qu'à en demander le mot à Madame Carron qui aime également ces trois génies sous un seul chapeau. Hélas, ma pauvre petite, peut-être que, pendant que je m'amuse à t'écrire des balivernes, mon petit crie et ne te laisse pas fermer l’œil. Ma bonne Julie, dis-lui de la part de son papa d'être bien sage ce soir et de bien dormir cette nuit. Dis-lui cela en lui donnant le doux baiser que tu m'as promis tous les soirs et que j'attends pour[1577] m'endormir. Sans un petit baiser, point de sommeil pour ton mari, ou un vilain sommeil mêlé de vilains rêves. Ma pauvre amie, qu'est-ce que ce mari, te souviens-tu de lui ? Y penses -tu quelquefois ? Ah, peut-être que tu n'y penses que quand son fils te fait mal ou te réveille ! Pardon, ma bonne Julie, pardon pour ce petit, il fait mal sans le savoir, il deviendra bon, presque aussi bon que sa maman à force de sucer le lait de mon amie, de mon épouse. Je ne t'avais pas encore écrit ce nom, depuis que tu prétends être redevenue Mademoiselle Carron. C'est cependant mon épouse que j'embrasse ce soir de toute mon âme et je suis bien sûr que ce baiser trouvera à S[ain]t-Germain sur qui se reposer, et que tu ne le laisseras pas tomber à terre, ni celui que je te donne à présent, ni cet autre, ni cet autre, ni tous ceux que je t'adresserai avant de m'endormir. Adieu, il faut bien en finir malgré moi, faute de papier ; je vais me coucher, bonsoir, encore un baiser !

(2) Il paraît s'agir de Ballanche pour un mariage qui n'eut pas lieu.

Please cite as “L42,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L42