To Claude-Julien Bredin   30 novembre 1812

[30 novembre 1812 ?]

[31] Mon bon ami, j'ai reçu une lettre de toi par M. Piobert. Je lui ai donné les indications qu'il désirait. Cette lettre était courte. Je ne puis t'en faire un reproche. Regarde, mon sort est tellement fixé qu'il ne peut plus y avoir de changement sur la seule[chose] qui m'intéresse. Tu ne penses plus comme moi ! Ce que t'a dit Roux m'a privé du seul bonheur qui me restât. Tu ne peux pas me le rendre. Il ne dépend pas de toi de penser autrement de la psychologie et que le seul être à qui je peux découvrir toutes mes pensées en jugeât comme moi. C'est impossible à présent. Je sens tous les jours davantage le vide de toute mon âme. Tu sais quel sentiment je croyais propre à le remplir ; jamais il n'y rentrera, tu le sais aussi, et tu m'en félicites apparemment ! Mais toi et la psychologie auraient suffi pour m'en dédommager. Il faut, pour achever de me priver de toute consolation sur la terre, que ces deux éléments de bonheur pour moi ne puissent plus[32] sympathiser. Il faut que je garde pour moi seul toutes mes pensées sans qu'une âme au monde réponde à mon âme, un cœur à mon cœur. J'attends tous les jours une lettre de toi, comme j'attendrais l'existence. Pourvu que tu aies répondu à celle que je t'écrivis il y a une douzaine de jours, j'en recevrai bientôt ! Je t'y demandais quelque chose dont ma sœur a besoin pour faire la commission de Mme Bredin 1. Elle s'en tourmente.

M. Chassuat s'est chargé de te remettre Marc Aurèle et élisabeth ; s'est-il acquitté de ce qu'il m'a promis de faire en te les rendant ? Tu m'avais chargé de recevoir ici de l'argent pour toi. Envoie-moi donc une lettre que je puisse montrer aux personnes qui doivent le payer, avec leur nom et leur adresse, car je n'ai plus de mémoire. Tu voulais aussi des livres dont j'ai oublié les titres, écris-les moi. Je te promets, pour te mettre à l'aise, de les acheter avec une partie de cet argent. Je te ferai passer le reste comme tu voudras et,[33] si tu n'as pas d'occasion que tu préfères, par Ballanche en le remettant à Beuchot.

Du 2 décembre Voilà ce que je t'écrivis avant-hier, le jour de ma fête. Hier s'est passé dans des ennuis envenimés par de violentes douleurs dans le front causées par un clou qui m'est venu entre les deux yeux. Il se formait depuis quatre ou cinq jours ; hier il était intolérable. On m'a mis des mouches derrière les oreilles qui m'ont empêché de dormir toute la nuit ; mais je souffre bien moins aujourd'hui. Il est étrange combien le mal physique m'a plongé, malgré moi, dans de tristes réflexions. Tout m'est à présent insupportable.

Adieu, mon bon ami, aime-moi comme je t'aime, si c'est possible. Ce ne l'est guère, car tes autres liens te donnent du bonheur, et, toi seul excepté, tous les miens me quittent ou me rendent malheureux. Rappelle-moi au souvenir de ta famille ! Adieu, bon ami, pense à moi !

P. S. - Pariset m'a dit encore il y a deux jours que l'affaire de M. Ruby devait être entièrement terminée à sa satisfaction ; demande en grâce la confirmation à Bonjour  ! Je t'en supplie. Si cela n'était pas, qu'il m'envoie une note pour que je puisse faire des recherches dans les bureaux.[34] J'ai été bien surpris de voir que vous supposiez que l'intuition en fait de logique pouvait dépendre de ces figures représentatives des syllogismes qu'on trouve dans les lettres d'Euler à une princesse d'Allemagne. Les cercles de ces figures ne sont et ne peuvent être que des signes qui ne changent rien aux notions qu'ils indiquent ; c'est comme quand on représente, en statique, les forces conçues d'après l'effort représenté par des lignes. J'ai perdu la première lettre de Bonjour, je l'ai cherchée inutilement. Je ne sais plus ni quelle place il avait, ni quelle place il demande. Rien, plus un mot. Ainsi j'ai besoin de tout ce qui est nécessaire pour prendre des renseignements. Mille choses à tous nos amis.

A monsieur Bredin fils Professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)
(2) Voir Lettre 0429 et, pour Marc Aurèle, Lettre 0428.

Please cite as “L430,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 4 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L430