To Claude-Julien Bredin   15 février 1813

[Vers le 15 février 1813]

[35]Mon bon ami, comment n'ai-je pas encore répondu à tes deux lettres ? Elles m'ont fait tant de plaisir. Hélas, c'est que chaque jour j'ai cru me décider à partir pour Lyon le 20 février ou à rester ici, et t'écrire aussitôt ma décision, et que l'incertitude dure encore. Que de fois j'ai résolu de partir !

Que de fois je me suis arrêté à la résolution contraire ! C'est une fluctuation continuelle, inconcevable, de desseins, de décisions contradictoires. Un jour, je dis à ma sœur que mon départ est arrêté. Le lendemain, c'est le contraire. Comment t'écrire sans savoir ce que je veux moi-même, et surtout ce que je ferai ? Ce n'est pas au reste la métaphysique qui en est cause. Dans ce moment, ce qui lui conviendrait le mieux, ce serait que j'allasse passer deux mois dans ta bibliothèque, rédigeant 6 heures par jour au moins l'ouvrage projeté sous ce simple titre : Introduction à la Philosophie et te lisant chaque soir la rédaction du jour, si tu pouvais consentir à m'entendre : C'était là mon espérance pour déterminer mon départ. Mais que d'obstacles[36] s'y opposent !

Tu ne saurais comprendre tout ce que m'a fait éprouver la lecture de tes deux lettres. J'y répondrai dans quelques jours ; car aujourd'hui il ne me reste que le temps de te prier de m'écrire tout de suite au sujet d'une inquiétude qui me fatigue au dernier point. M. Chassuat, professeur au Lycée de Lyon qui, je crois, y demeure, et dont le portier du Lycée te donnera dans tous les cas l'adresse, t'a-t-il remis le volume de Marc Aurèle et élisabeth ? S'il te les a remis, pourquoi ne m'as-tu pas écrit, afin que je fusse du moins tranquille à cet égard ? S'il ne te les a pas remis, pourquoi ne les as-tu pas fait demander ? Il m'avait promis d'en avoir tant de soin, de te les remettre de suite. S'il ne l'a pas fait, demande-les lui, je t'en prie, et, dans tous les cas, écris-moi ce qu'il en est, car cela me tourmente beaucoup.

[37]Mon bon ami, connais-tu un livre intitulé : Exposition des prédictions et des promesses faites à l'église pour les derniers temps de la Gentilité, par le père Lambert *? J'en ai lu quelque chose, cela me semble un ouvrage d'un genre bien singulier ! Tu ne saurais croire tout ce qu'il m'a fait penser. Je t'en prie de tâcher de te le procurer et de m'en dire ton avis. C'est Lenoir qui me l'a prêté. Tu le trouveras sûrement à emprunter à Lyon ; mais il ne faut pas pour cela t'adresser aux ecclésiastiques du parti de Barret. Tu me comprends bien, n'est-ce pas ?

Il faut que je finisse cette lettre sous peine de la retarder de deux jours, et elle l'a déjà trop été. Car, à présent que mon cours est fini, je suis dans les examens, et c'est tous les jours, presque toute la journée. Adieu, le plus tendrement aimé de tous les amis. Adieu, je pense à toi, écris-moi ; il n'y a plus d'autre bonheur pour ton ami. Tu m'avais promis une autre lettre avec.[38] Avec quelle impatience je l'attendais ; mais elle n'est point venue.

A monsieur Bredin fils Professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)

Please cite as “L434,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L434