To Claude-Julien Bredin   24 février 1813

[253] 24 février 1813

Cher ami, je n'ai point eu de lettre de toi depuis que je t'ai écrit la dernière fois. Ce n'est pas la psychologie qui est cause que je n'irai pas à Lyon avant ma tournée, quelque envie que j'en aie : c'est le changement arrivé relativement aux intentions de ma sœur, relativement à ce que je lui dois. Il paraît qu'elle se décidera à faire l'acquisition de son petit domaine à, peu de distance de Paris au lieu de cette Franche-Comté que je redoute tant, pourvu que j'emploie le temps que j'ai de libre avant ma tournée, à chercher ce qu'il faut, et à l'aller voir avec elle, si cela se trouve.

Au reste, j'ai quelque espoir d'obtenir cette année une tournée qui, quoique différente de celles des années précédentes, passerait également par Lyon. Oh, combien je le désire ! Tu ne peux pas comprendre comme mon cœur oppressé se dilate à la seule pensée de passer quelque temps avec toi ! Si ma tournée doit passer à Lyon, dès qu'elle sera fixée, je te promets bien par exemple de m'y rendre sur-le-champ et d'y attendre mon collègue. J'écrivais cela quand j'ai reçu ta dernière lettre ; je l'interrompis pour te lire et je n'ai pu la reprendre qu'aujourd'hui 29 février. La phrase commencée est en l'air, il a fallu d'abord que je l'achevasse et, à présent, il faut que je sorte. Je[254] continuerai demain matin. Je viens aussi de recevoir enfin une lettre de Roux qui m'a fait on ne peut plus de plaisir. Je t'en parlerai quand j'aurai répondu à la tienne et ensuite je lui répondrai à son tour.

J'éprouve comme toi cette perte de mémoire qui est, je crois, ordinaire à notre âge, et qui n'est pas, comme tu dis, le signe d'une seconde enfance 1. Elle me semble une vue de la providence pour que l'homme, après avoir tout effleuré dans la jeunesse de ses organes, soit forcé de se circonscrire dans un cercle d'idée particulier et resserré qu'il est destiné à approfondir. L'objet des réflexions habituel n'en est point atteint, il y gagne au contraire. Je ne puis plus rien apprendre ; mais la psychologie m'est sans cesse présente, comme cette métaphysique élevée dont tu me parles et qui est comme incorporée à tout ton être. Comme je voudrais m'en occuper avec toi ! Quand donc le pourrai-je ? Cherche donc réellement la vérité ! Je suis convaincu que tu peux plus que personne la débarrasser, comme tu dis, de l'alliage.

Tu me la transmettras ensuite et moi, qui aurai trouvé pendant ce temps-là des vérités, je t'en ferai part à mon tour. Mais, combien il s'en faudra[255] que je puisse ainsi m'acquitter envers toi ! Ce sera de ma part te donner de la paille pour l'or ! Oh, comme, avec quelques mots, tu m'inspirerais d'envie de me nourrir de la lecture dont tu te nourris ! Mais toutes mes pensées ont une autre direction.

Alors, dit Saint-Augustin à la fin d'un récit où il avait parlé de quatre amis, les deux premiers restèrent dans la solitude à méditer les choses célestes ; les deux autres les admirèrent, mais ils retournèrent aux choses de la terre. J'aurais encore plus de plaisir que tu n'en as eu à revoir cet excellent M. D. M. ; parle donc quelquefois de moi avec lui.

Comme ce que tu m'as dit si souvent de l’œuvre à accomplir sur la terre sans le savoir, m'a toujours frappé, mais me frappe bien plus à présent ! Je suis pourtant moins surpris que toi des nuages qui la couvrent. La liberté serait-elle possible ou du moins méritoire sans eux ? Quel mérite y aurait-il à se procurer un bonheur infini dont on serait sûr ?

Tâche donc de m'écrire toutes ces autres choses qui te restaient à me dire sur le même sujet !

Tu ne sais pas combien je désire plus encore que toi d'aller passer quelque temps à Lyon [256] auprès de toi. Mais il faudrait pour cela que ma sœur se décidât promptement à faire l'acquisition que je souhaite qu'elle fasse. Je voulais te parler de la lettre de Roux, où il ne paraît plus si ennemi de la psychologie, où il me dit que ce serait une consolation si l'on y voyait clair, etc. Ah, oui, c'en est une pour moi ! Il faut que je remette cela à une autre fois, car il faut que je te quitte. Donne-moi des nouvelles de ton père dont l'indisposition m'inquiète, ainsi que du reste de ta famille. Dis mille choses de ma part à Dupré, à qui je répondrai dès que cela me sera possible. Tu sais si ton ami t'aime et de quel sentiment il t'embrasse.

A monsieur Bredin fils Professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, près des portes de Vaise, à Lyon (Rhône)
(2) Ampère n'avait pas encore 38 ans.

Please cite as “L435,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L435