To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   21 octobre 1800

[1416]Du Mardi soir [21 octobre 1800]

J'ai beaucoup couru aujourd'hui, ma bonne amie, pour savoir l'adresse de M. Cayre 1. Il n'y a que M. Roux 2 qui, je crois, puisse me la dire et il a été, jusqu'à demain ou après-demain, à la campagne. Quant à M. Mollet, j'ai été deux fois chez lui ; mais on ne l'y trouve plus depuis qu'il est marié. Tu peux être sûre au reste que je ne retournerai à Poleymieux qu'après avoir fait tout ce qu'il convient à cet égard. Ta tatan m'a bien grondé, quoique je ne l' ai vue qu'un moment, de ce que je songe plus à passer quelques moments avec toi qu'à travailler pour ta tranquillité. Elle est fâchée surtout que je n' aie [1417] pas fait connaissance avec Monge pendant son séjour ici. Elle dit que cela aurait pu m'être utile ; mais ce qui doit nous consoler, c'est que Dumas m'a dit positivement qu'il ne pouvait avoir aucune espèce d'influence sur les choix du Prytanée . Ah, ma bonne amie, je ne me le pardonnerais jamais si j'avais à me reprocher d'avoir négligé ce qui pouvait t'être utile. Mais j'espère encore que je n'aurai pas ce reproche à me faire. Berthaud qui avait cessé de prendre des leçons, m'a fait dire qu'il recommencerait cette semaine. Que je voudrais pouvoir annoncer, du côté du profit que je fais, quelque bonne nouvelle ! On m'a encore[1418] parlé d'un jeune homme qui prendra peut-être des leçons ; mais tu sais qu'il ne faut pas compter là-dessus. Ma pauvre amie, je t'entretiens bien longuement d'un sujet qui ne me semble guère intéressant, mais dont je ne sens que trop à présent la nécessité. C'est surtout depuis que j'ai parlé à ta Tatan. J'aurai toujours sur le cœur la parole qu'elle m'a dite là-dessus. Elle a dit que je te rendais malade parce que, si j'intriguais d'avantage, j'aurais plus d'élèves ! Ma pauvre petite, se pourrait-il que je contribuasse à cette maladie qui fait tant souffrir celle que j'aime ! Peut-être qu'elle est à présent[1419] plus forte que jamais ? L'idée de ce que tu souffres et de tout ce que tu as souffert pour moi me suit partout ; il semble qu'elle me déchire et j'aimerais mille fois mieux pour moi-même et indépendamment de ta santé, sentir tous les maux dont tu serais exempte. Quand est-ce que je pourrai recevoir de tes nouvelles ? Quand est-ce que je pourrai savoir que tu te portes mieux, et que je n'aie plus tant de raisons de me détester ? Ma bonne Julie, tu ne saurais croire l'embarras que je trouve à t'écrire ; il me semble, à chaque phrase que je t'ennuie d'une répétition ; pardonne-moi si cela est vrai ![1420] Quand on pense toujours à la même chose, peut-on faire autrement ? Ton ami pense toujours à toi, à tes peines, et quelquefois au bonheur dont il espère un jour pouvoir jouir avec toi quand notre argent et notre petit auront crû également. Pourrai-je jamais le voir, cet heureux jour, où ma Julie sera tranquille sur son sort, et moi sur sa santé et sur le bonheur de mon enfant et du tien. Mon enfant est le tien ; je veux m'aller coucher avec cette douce pensée. Adieu, ma bonne amie, je n'ai pas besoin de te dire comme je t'embrasse et combien j'aime le petit nous. Du mercredi Je n'ai qu'un mot à te dire, ma bonne amie ; rien de nouveau dans mes affaires. Je t'aime, je suis heureux, triste et inquiet tout à la fois : sentant combien mon sort est préférable [illisible] \à celui des autres hommes, mais/ sentant aussi que[1421] je ne peux m'en applaudir qu'en pleurant sur tes peines. Ah, ma bonne amie, j'ai le cœur trop serré, je t' attristerais . Pense que je suis heureux, et mets le comble à mon bonheur en prenant soin de toi ! Je te verrai peut-être après-demain ; mais cela dépend de ma visite à M. Cayre. Si tu ne me voyais pas, il faudrait en conclure que je suis occupé de quelque démarche importante, et que cela va bien. Je quitte à présent la maison Périsse, où tout le monde se porte bien et te dit mille choses. J'attendais mon élève du soir en t'écrivant quand M. Barret m'a interrompu. L'élève a encore manqué, mais cela vient apparemment d'un acteur de Paris qui joue une très belle pièce. Il payera tout de même. M. Barret m'a empêché de t'écrire : il m'a tenu jusqu' au souper. Je viens de souper. Je vais me coucher en faisant les plus tendres vœux pour ton repos et ta santé. Je t'embrasse comme on embrasse ce qu'on aime comme je t'aime.

(2) Cayre, membre du Corps législatif, habitait à Paris, rue Saint-Honoré, n° 1468 ; mais il était alors de passage à Bourg.
(3) M. Roux qui revient assez souvent dans ces lettres n'a rien de commun avec Roux-Bordier, l'ami d'Ampère ; C'est l'abbé Claude-Antoine Roux, secrétaire perpétuel de l'Académie de Lyon et professeur au lycée de Lyon, qui, dès 1788, avait été chargé d'examiner le premier mémoire d'Ampère sur la quadrature du cercle.

Please cite as “L44,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L44