From Claude-Julien Bredin   19 mars 1813

[294] 19 mars 1813

Mes craintes n'étaient que trop fondées. Avant-hier j'ai tout perdu : mon ami, mon soutien, l'ami de mon enfance ! Me voilà seul auprès de ce feu où j'avais la douce habitude de le voir ! Je regrette même ces derniers temps si douloureux où je t'écrivais en écoutant sa respiration laborieuse. [illeg]

Mon père est mort ! Eh bien, qu'y a-t-il là de si terrible ? Ne m'y suis-je pas préparé ? Ne sais-je pas qu'il est heureux à présent ? Ne connais-je pas assez ce rêve pénible pour me réjouir de ce qu'il est réveillé ? C'est une dure séparation sans doute ; mais sera-t-elle donc si longue ? Et, quand je vivrais aussi longtemps que lui, cela ne sera-t-il pas encore bientôt passé ? Je n'entendrai plus cette voix si douce pour mon cœur. Mais nous n'aurons plus besoin de paroles pour nous entendre ! Ces paroles, toujours si froides, qui sortent de la bouche de l'homme exilé sur cette terre, nous n'en avons plus besoin. Nos cœurs communiquent immédiatement[295] [illeg] [296] [illeg]

Dans des moments comme celui où je me trouve, on voit clair, on pénètre bien avant dans les sublimes vérités de la métaphysique chrétienne. On sent clairement que l'homme n'est pas fait pour mourir et encore moins pour pleurer la mort de ceux qu'il aime. Dieu ne m'aurait pas donné une loi contraire au sentiment irrésistible qu'il a gravé dans mon cœur ? Car où serait sa bonté ? Où serait sa sagesse ? Où serait sa puissance, si lui-même m'avait soumis à une règle dont il a lui-même gravé la récolte dans moi ? Depuis quelques années, je suis porté par toutes mes méditations à revenir aux idées que j'avais quand tu m'as éclairé des lumières de la foi en Jésus-Christ. J'avais mal compris le christianisme ; mais, depuis que je l'ai mieux étudié, j'ai vu qu'il me ramenait à mes premières idées, aux idées que j'avais dès l'âge de 5 ou 6 ans

Le malheur qui vient de m'accabler - c'est-à-dire d'accabler une partie de moi - achève de m'ouvrir les yeux. Je ne veux plus chercher que dans moi et dans l'évangile [illeg]

Please cite as “L440,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 4 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L440