To Claude-Julien Bredin   10 avril 1813

[316] Samedi soir 10 avril [1813]

J'ai reçu ce matin ta lettre, mon bon ami, et, en même temps, un petit papier que M. de Mussy avait laissé chez moi en mon absence. Il m'a fait un grand plaisir et je le joins ici.

Toute ta lettre me reproche quelques phrases d'une des miennes qui étaient une sorte de demi-plaisanterie. Cela ne valait pas la peine d'entrer dans de si longues explications. Tu savais bien tout bonnement que, dès que j'apprendrais le malheur que nous déplorons, je n'aurais qu'une seule idée, celle que tu fusses nommé Directeur de l'école. Si cela n'arrivait pas, j'en aurais plus de chagrin que de quelque malheur qui pût m'arriver. Aussi, pendant dix à douze[317] jours, n'ai-je pensé qu'à cela, allant frapper à toutes les portes où je pouvais espérer quelque aide. Il faut à présent que j'attende puisque je ne puis plus rien concevoir que je n'aie déjà fait.

J'ai vu ce matin, chez Mme Duval, M. de Puységur qui y avait amené la fameuse somnambule de Buzancy dont on a tant et tant parlé. Il l'a endormie et l'a mise en relation successivement avec Mlles Machinka et Henriette ; elle a dit en dormant qu'il n'y avait rien du tout à espérer à l'égard de la première, et que la seconde deviendrait tout de même[sourde] à moins qu'on ne détournât une humeur qui montait du milieu du corps dans les oreilles. Elle a prescrit, pour cela, des bains, un vésicatoire[318] et ensuite un cautère auprès du genou, disant que celui qu'elle semble avoir deviné être au bras, ne servait à rien du tout.

On va faire cela ; mais j'ai laissé Mme Duval bien triste de la sentence contre sa fille aînée et du refus de la somnambule de prescrire aucun remède pour elle, disant qu'ils seraient tous inutiles.

Du dimanche 11 avril On vient de m'apprendre la mort de M. de Lagrange. Ainsi voilà une place vacante à l'Institut ! Cet événement m'a stupéfait. Il va falloir me mettre sur les rangs sans avoir de mémoires prêts à lire, au moment de quitter Paris ! Il va falloir faire soixante visites ! Si je t'écris quelques lettres de moins, tu en sauras la cause ! Tu penseras au chagrin que cela me fera. Je t'en prie en grâce, ne m'écris pas moins, tes[319] lettres sont le seul bonheur qui me reste sur la terre. Je vais travailler jour et nuit à brocher un petit mémoire. Dis cela à Ballanche et à Dupré pour qu'ils ne m'en veuillent pas, si je ne leur écris pas d'ici à mon départ. Mais n'en parle guère qu'à eux pour m'éviter un ridicule de plus ! Je vais te quitter, mais en pensant à toi, en t'aimant comme c'est toute ma vie. écris-moi.

Nous nous embrasserons au mois de mai. Je t'embrasse malheureusement de plus loin dans ce moment, mais sens de quelle amitié !

A monsieur Bredin Professeur d'anatomie à l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)

Please cite as “L444,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 16 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L444