To Pierre-Simon Ballanche   10 septembre 1813

[Vers le 10 septembre 1813]

[873]Mon bon ami, ne t'inquiète plus ! Je suis resté à Nogent le vendredi en question après avoir fait toutes les réflexions dont tu me parles. J'ai écrit pour m'excuser de l'impossibilité de me rendre à Paris ce jour-là. Je m'en applaudis à présent et je pense que ce refus dégoûtera de toute tentative. Au reste, j'ai déjà changé dix fois de manière de voir là-dessus, et il n'y a que deux jours que je voulais prier ma sœur d'aller directement lui offrir réconciliation.

Le lendemain, j'en étais à mille lieues 1. L'époque du séjour à Nogent marquera dans ma vie. J'y apprendrai à ne plus être conduit que par la froide raison ; j'y réfléchis continuellement. Ces réflexions m'ont été bien pénibles, mais me seront bien salutaires. Il fallait passer par là pour détruire des impressions de 18 ans qui n'ont cessé depuis lors de faire mon malheur, excepté le temps si court où j'ai été à Lyon parfaitement heureux. Me voilà enfin complètement désabusé sur tout ce qui pourrait encore me tourmenter !

Je parlerai de la seule chose que tu désires le plus savoir à M. Degérando. Il ne t'a pas répondu là-dessus parce qu'il se figure que ton but est de savoir réellement en quoi consiste l'invention de Didot, ce qu'il ne peut dire en conscience. J'ai eu beau lui dire qu'il te suffisait qu'on te dît : il se sert ou non du vide ; il me répétait toujours que cela ne te contenterait pas. Il craint, je crois, que, quand tu sauras qu'il a lu le brevet, tu veuilles lui en demander davantage. Mais je lui montrerai ta lettre.

Si Didot emploie le vide, il n'y a plus rien à faire. S'il ne l'emploie pas, ton établissement réussira, mais seulement à Paris. Cet avis est unanime entre nous trois. Didot ne montera-t-il pas un entrepôt ou même un établissement à Lyon, et celui qui aura la vogue à Paris ne sera-t-il pas celui dont le nom remplira aussi le midi de l'Empire et le royaume d'Italie ? Qu'y a[875]-t-il à redouter de la concurrence dès qu'on fait mieux à meilleur marché ?

La question si le brevet porte sur la machine ou sur la chose a été disputée pendant tout le temps que j'ai été secrétaire du bureau consultatif. M. de Montgolfier et moi soutenions qu'on ne pouvait rejeter une machine toute nouvelle et supérieure à une précédente pour une même chose ; mais les autres membres prétendaient que la propriété du premier inventeur était l'idée de faire la chose. Comme nous n'étions rien pour prononcer là-dessus, nous en discutions comme tu pourrais faire. La loi, qui se tait là-dessus, laisse tout à l'interprétation des juges et des experts nommés par eux. Si Didot fait le vide, il y a beaucoup à craindre que le procès fût perdu et le brevet cassé. Alors le prix du brevet est perdu sans compter les autres frais. Mais, s'il ne le fait pas, un bon établissement à Paris, et je réponds du succès 2. Mille choses à tous nos amis, à Camille et Bredin ; je t'embrasse de toute mon âme, bon ami.

A monsieur Ballanche fils Imprimeur, aux Halles de la Grenette, à Lyon (Rhône)
(2) Il doit s'agir là de Mme Ampère.
(3) Ballanche ne s'est fixé à Paris que dans l'été 1817.

Please cite as “L456,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L456