To Claude-Julien Bredin   14 janvier 1814

[245] Paris 14 janv[ier] 1814

Mon bon ami, pardon de ne pas t'écrire plus souvent. Il y va de toute mon existence d'employer entièrement au travail tout le temps que je puis passer chez moi. Je faisais un mémoire mathématico-chimique que je regardais comme devant donner des bases mathématiques à toute la théorie des combinaisons des corps. J'en ai toujours la même idée ; je le regarde toujours comme préparant une de ces grandes théories qui donnent une nouvelle forme à une science ; eh bien, je l'ai interrompu ! Voilà une place de mathématiques qui va vaquer à l'Institut 1.

Il faut, pour pouvoir y prétendre, un mémoire de mathématiques pures... Je vais m'efforcer d'en faire un, et mon cours de l'école, que deviendra-t-il dans ce concours de pensées qui se croisent ; de tant d'autres encore dont ma tête est remplie ! Elle l'est tellement qu'il n'y a plus de place pour de tristes réflexions. Les événements peuvent s'enchaîner comme ils voudront ; je les attends sans m'en occuper !

Mon ami, je ne puis t'écrire au long, mais ne m'en écris pas moins, je t'en prie ; tes lettres sont un bonheur pour ton[246]ami. Je te prie en grâce de me marquer ce que t'auras dit François. Il n'est pas nécessaire que tu ailles à Poleymieux pour lui parler. Je joins ici une petite lettre que tu lui enverras pour qu'il vienne à l'école vétérinaire si tu n'as pas le temps d'y aller. Je te prie de remettre à Ballanche le premier argent que tu recevras de lui, pour lui rendre les 250 francs que je lui dois ; afin qu'ensuite on puisse voir au sujet de l'argent que ma sœur a placé chez lui. Elle veut encore l'y laisser ; mais, si les paiements sont suspendus à l'Université comme à l'école, il faudra, pour que nous puissions manger, qu'elle consente à retirer une partie et, ma sœur ne sachant pas que Ballanche m'a prêté, il faudra bien que cela lui soit rendu avant qu'il en soit question, pour pouvoir faire des comptes réguliers. Ma position est terrible sous le point de vue de l'argent ; je dois ici au moins douze cents francs et je n'ai pas un sou.Au reste, je ne m'en inquiète non plus[247] que de tout le reste.

Il paraît qu'il n'y a plus rien à craindre pour Lyon ; mais n'oublie pas que, si tu jugeais qu'il y eût plus de sûreté pour Mme Bredin et tes enfants, soit à Paris, soit à Poleymieux, tu pourrais, dans le premier cas que je trouve plus avantageux, me les envoyer de suite. Tu sais si l'on en aurait soin ici, et que, sans m'apporter aucune sorte de gêne, ils me combleraient de joie. Le ménage ici ne manquera pas encore, malgré ce que je te disais tout à l'heure. Je connais bien ma sœur ; si elle me fait quelques avances, elle est bien sûre d'en être remboursée, et il n'en coûte pas plus pour quelques personnes de plus. Dans le second cas, tu sais bien que Poleymieux est à ta disposition comme ta propre maison.

Comment ne me parles-tu pas du séjour de M. Davy à Lyon ! Comment n'as-tu pas cherché à voir cet homme extraordinaire, et pour lui-même et à cause de ses relations avec ton ami ?[248] Fais que Dupré me pardonne de ne lui avoir pas écrit. Je n'en puis plus de travail. Parle-lui de moi, parles-en à Camille, Barret, Ballanche, Bonjour et Chatelain. Dis-moi si Bonjour me hait tout à fait. Il ne m'a pas répondu. Il voudrait que j'achetasse des livres pour M. Socquet ; mais, obligé d'emprunter, et aux expédients chaque jour pour passer la journée, je ne sais comment faire. Je ne voudrais pas le lui dire ; je n'ose pas.

Mille choses de ma part à ta femme et à tes enfants ; qu'ils me sont chers à cause de toi et combien tendrement je t'embrasse A. Ampère

A monsieur Bredin Directeur de l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)
(2) Bossut, né en 1730, correspondant de l'Académie des Sciences en 1753, est mort le 14 janvier 1814. Ampère l'a remplacé le 28 novembre 1811.

Please cite as “L464,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L464