To Claude-Julien Bredin   15 février 1814

[261] 15 février [1814]

Mon ami, tu ne m'écris plus. N'as-tu pas reçu ma dernière lettre ? J'aurais tant besoin d'avoir de tes nouvelles, car je suis bien triste. Je suis en outre bien enrhumé avec de la fièvre la nuit, et un affreux mal de tête tout le jour. Le moindre de mes chagrins est de voir que tout le travail que je fais avec tant d'opiniâtreté pour tâcher d'entrer à l'Institut sera inutile. C'est un moindre chagrin de n'y pas entrer que de travailler ainsi inutilement et de mettre tout mon temps à cela avec tant de peine, quand d'autres idées de métaphysique ou de chimie m'attirent. Et, quand je m'en occuperais, à quel but que de tuer le temps ? Est-ce donc pour cela qu'il[262] a été donné à l'homme un peu de temps ? Paululum mellis gustavi et ecce moriar. Que deviendrai-je ensuite et à quoi aura servi ma vie ?

M. Huzard, que je viens de voir, m'a donné de tes nouvelles. Elles m'ont fait bien plaisir, il est bien content de toi. Écris-moi, je t'en prie ; parle-moi de tout ce qui t'intéresse, de ta famille, de tes enfants, de la manière dont se sont arrangées les prétentions de ta mère, comment s'est arrangée ta famille, où en sont les affaires et la position de l'École vétérinaire ? Que font, que disent tous nos amis ? Parlent-ils quelquefois de moi, du moins y pensent-ils ? Mon bon ami, je ne sais quelle[263] fermentation il y a dans toutes mes idées ; mais il me semble que ma vie ne peut pas rester comme elle est. J'appelle de plus grands malheurs sur moi sans les prévoir ; il semble que le pire état serait un bienfait pour moi s'il me tirait de l'anéantissement où je suis.

Adieu, adieu, Bredin, tu sais si je t'aime et de quel sentiment je t'embrasse. Ton ami, A. Ampère

A monsieur Bredin Directeur de l'École impériale vétérinaire, à Lyon (Rhône)

Please cite as “L469,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L469