To Pierre-Simon Ballanche   3 septembre 1814

[899] 3 7bre [septembre] [1814]

Je viens d'écrire à Bredin, cher ami. J'aurais dû commencer par toi, car c'est toi qui m'as écrit le dernier, mais je suis inquiet de n'avoir point de nouvelles de lui, et le pauvre Beuchot, dont le bras va pourtant mieux, m'a souvent donné des tiennes. Je n'ai pas pu t'écrire plus tôt à cause de ces mémoires pour l'Institut. Chaque instant que je n'y consacre pas en entier est une perte irréparable, car le jugement est prochain. Dugas est venu dîner mercredi avec moi ; nous t'attendons ici bientôt ; nous nous en faisons un plaisir indicible ; car tu sais bien combien nous t'aimons. Mon ami, la mélancolie s'est tout à fait emparée de moi. Je suis bien malheureux de n'être pas resté toute ma vie professeur de chimie à Bourg ou à Lyon ; c'était la seule chose qui eût convenu à la tranquillité et au bonheur de ma vie, et j'eusse été un grand homme. Mais il n'est plus temps. Heureux ceux qui[900] cultivent une science à l'époque où elle n'est pas achevée, mais où sa dernière révolution est mûre ! La voilà faite entièrement par Gay-Lussac qui achève l'ébauche créée par le génie de M. Davy, mais que j'eusse infailliblement faite, que j'ai faite réellement le premier, mais que, malheureusement, je n'ai pas publiée quand il en était temps. Que m'importe au reste ; le temps de souffrir est court sur la terre ; voilà ce qui doit me consoler de tout ; mais il n'en est pas moins pénible.

Je suis tout à fait hors de toute position heureuse pour moi, et sans espoir d'en pouvoir changer. Que me reste-t-il des dix ans que j'aurai bientôt passés à Paris, que des sujets de peine pour tout le reste de ma vie ?

Nous riions de si bon cœur à Lyon ; mais, à Paris, on ne rit pas, excepté quand tu y seras, cher ami ; aussi c'est tout pour moi que l'espoir[901] de t'y voir bientôt. écris-moi, je te prie, quelques mots du moins. Ah, si tu me marquais l'époque de ton arrivée ici, quelle joie tu mettrais dans mon âme !

A propos, tu m'avais dit que Bouchot me dirait notre compte ; mais, quand je le lui ai demandé dans le temps, il m'a dit qu'il n'avait point d'autres renseignements que celui-ci : Ballanche a prêté 500 livres à Ampère ; il en a reçu 250 de Mlle Sarcey ; reste 250 livres. Mais je crois que Bredin t'a remis une somme à ôter de ces 250 livres et que, si je ne me trompe pas, il restait beaucoup moins. Bouchot n'en a pas entendu parler. Je te prie en grâce de savoir combien c'était : soit par Bredin, soit par ta mémoire, ou quelque note que tu aurais conservée, car j'ai de l'argent prêt à remettre à Beuchot. Je t'en prie, mon bon ami, marque-moi de suite ce qu'il en est. Je vais me remettre aux mathématiques.

J'éprouve de la peine d'abord ; mais, quand j'ai vaincu la première répugnance, je voudrais ne plus quitter les calculs. J'y éprouve encore un grand charme, quand je puis écarter toute autre[902] pensée, et m'en occuper uniquement, absolument uniquement. J'espère avoir bientôt une autre occupation comme membre d'une académie psychologique formée par MM. Degérando, Maine de Biran, Royer-Collard le Conseiller d'état, Durivaux, Maurice, etc. Demande là-dessus des renseignements à Camille qui doit être au fait de tout le projet ; car il est le premier correspondant de la liste. Ne parle à aucun d'autre de ce projet : c'est très important. Adieu, bien cher et bien bon ami, je t'embrasse un million de fois. Ton ami, A. Ampère.

Donne-moi de tes nouvelles, de celles de ta famille et de tous nos amis ! Mille amitiés de ma part à Deplace quand tu le verras.

A monsieur Ballanche Imprimeur aux Halles de la Grenette, à Lyon (Rhône)

Please cite as “L491,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L491