To Claude-Julien Bredin   3 septembre 1814

3 septembre 1814

Cher ami, je n'ai plus de tes nouvelles ni toi des miennes, j'en souffre beaucoup, et mon cœur me dit que le tien en doit être peiné. Je crois pourtant que c'est toi qui n'as pas répondu à ma dernière lettre. Toutes mes minutes sont comptées ; la nomination à l'Institut approche. Chaque moment que je dérobe au travail est une chance de plus que je mets contre moi. As-tu reçu ma petite brochure chimico-mathématique ? Sais-tu si M. Rosset en a remis à tous ceux à qui je l'ai prié d'en donner à Lyon ? Je suis un misérable qui n'ai pas répondu à Ballanche, mais où prendre du temps ; je tâcherai de lui écrire incessamment, mais si tu le vois, je t'en prie en grâce, parle-lui de moi, parles-en aussi à Camille et à d'autres.

Camille a quitté Paris bien tout à coup, je regrette de l'y avoir si peu vu. J'attends Ballanche cet automne à Paris, ce sera une grande joie pour moi. Il n'y a plus guère d'espoir de nous voir cette année, car quitter avant la nomination, ce serait renoncer à l'Institut et mon cours recommencera le 1er novembre. Tu ne saurais concevoir combien cette idée est lugubre pour moi. J'avais tant besoin de voir Lyon, et par-dessus tout de te voir.

Ma sœur a été bien malade d'un ou d'une érésypèle, elle va mieux ; le reste va bien ; mais ton ami est triste et ennuyé de sa situation au dernier point. Ne changera-t-elle donc jamais ? Le seul plaisir qui me reste est d'apprendre les belles découvertes de Gay-Lussac sur l'iode, le chlore et la chimie en général. Voilà donc toutes mes prédictions de cinq ans vérifiées et généralement admises. Voilà le chlore formant comme l'iode en se combinant avec l'oxygène, un acide tout semblable à l'acide sulfurique, voilà des éthers iodiques, etc... une nomenclature nouvelle en tous les points où elle était devenue nécessaire, l'hydrogène sulfuré et l'acide muriatique débaptisés, et prenant les noms d'acide hydrosulfurique et hydrochlorique.

On imprime le travail de Gay dans les Annales de chimie, il m'en fait lire les épreuves, j'en suis émerveillé, mais que tout cela est froid en comparaison du bonheur de l'amitié qui fuit loin de moi. Te voir quelques instants, serait si doux pour ton ami. Pourquoi ne demanderais-tu pas la permission de venir ici avec Ballanche. Tu verrais M. Huzard, le ministre, etc., mais surtout je te verrais !... Cela serait utile pour ton école, ah ! je t'en prie, crois que ce voyage est indispensable pour elle. On oublie dans les administrations les objets éloignés. Ah ! mon ami ! Que de choses il faudra encore un an peut-être étouffer dans mon cœur.

J'aurais été à Lyon, j'aurais renoncé pour te voir à tout le reste, mais de retour ici en voyant un autre nommé à ma place par ma faute, que n'aurais-je pas souffert.

Adieu, cher ami, tu sais comme je t'aime, avec quelle tendresse je t'embrasse et tes enfants. Offre mes respects à ta femme, donne-moi de tes nouvelles et des leurs. Ton ami. A. Ampère

Mille choses à tous nos amis quand tu les verras.

A M. Bredin, directeur de l'École royale vétérinaire, à Lyon, Rhône.

Please cite as “L493,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 1 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L493