To Claude-Julien Bredin   18 octobre 1814

[129] Mardi, 18 8bre [octobre] 1814

Cher ami, que tu as raison de me dire qu'en ne nous écrivant plus nous nous privons tous deux d'une grande portion de bonheur ! Quant à moi, c'est la seule qui me reste. C'est ma faute ; car cette fois tu m'avais écrit le dernier. Mais l'envie de lire un mémoire à l'Institut, mémoire que j'ai lu en effet il y a eu hier huit jours, puis l'envie d'y faire des corrections et additions, tout cela pressé au dernier degré, car je croyais alors que la présentation se ferait hier, m'a occupé comme jamais je ne l'ai été. Chaque moment en détail a été pris sans pouvoir en donner un seul à l'amitié. Depuis dix jours au moins que Ballanche est ici, je ne l'ai vu que deux petits moments, excepté aujourd'hui qu'il a dîné ici avec Beuchot, Dugas, Mussy l'inspecteur[130] et Mussy de Chalons, le médecin, tu sais bien. Nous t'aimons tous bien. Ballanche disait que, si tu pouvais être ici et Camille, il n'aimerait que le séjour de Paris ; mais vous deux là-bas lui feraient trop regretter Lyon. Ce malheureux mémoire, le quatrième lu cette année, ne m'a pas empêché de t'écrire par M. Clerc qui a dû te remettre ma lettre avec un petit flacon d'iode.

J'espère que tu les as déjà reçus. écris-moi, je t'en prie ! Je ne peux vivre sans lettre de toi. Quant à la lettre de M. Carsignol, je n'y puis rien pour plusieurs raisons. La première, qu'il y a quinze jours au moins que le choix des élèves admis est fait, arrêté irrévocablement,[131] les lettres d'admission adressées à ceux qu'on a choisis, etc. La seconde..., mais c'est comme ceux qui n'avaient pas tiré le canon pour plusieurs bonnes raisons : la première qu'ils n'en avaient pas ; la seconde..., on les en dispensa !

Au reste, il n'y a pas de regret à avoir, puisque je n'ai aucune sorte de rapport avec les nominations et que les places d'examinateur sont incompatibles avec la mienne. Plus tôt ou plus tard, c'eût été tout un. Je suis désolé de n'avoir pas été à Lyon. Mais il faudrait te quitter dans quelques jours, les cours recommenceront avec le mois de novembre. Si je ne suis pas nommé à la place de l'abbé Bossut, rien ne pourra me consoler d'un sacrifice que j'aurai fait à cette vaine espérance. Ma vie était triste, empoisonnée  ; maintenant, c'est un désespoir qui[132] me fait bien plus de mal parce que plus rien de doux n'en adoucit l'amertume. On m'a dit que Barret-la-foi était ici. II est heureux, celui-là ! Que j'aurais dû, dans le temps, faire comme lui ! Mais peut-on faire quelque chose avec des idées si peu stables et passant d'une extrémité à l'autre ? Plains ton pauvre ami ; du moins son amitié pour toi ne variera jamais. Mille choses à Camille si tu le vois. Je te prie en grâce de remercier Deplace, avec mille amitiés, du joli cadeau qu'il m'a fait en m'envoyant son livre *.

Adieu Bredin, adieu, cher et à jamais cher ami, je t'aime et t'embrasse mille fois de toute mon âme. A. Ampère

P. S. Toutes les santés sont bien ici. Donne-moi des nouvelles de ta famille. Je te prie bien de présenter à Mme Bredin l'hommage de mon respect et d'embrasser vos enfants pour moi.

Please cite as “L496,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 30 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L496