To Claude-Julien Bredin   15 février 1815

15 février 1815

Cher ami, qu'il y a longtemps que je ne t'ai pas écrit. Qu'en as-tu pensé ? Ta lettre m'avait fait tant de plaisir ; ton amitié est tant pour moi. Comment ne t'ai-je pas écrit. J'avais cru chaque jour pouvoir t'écrire ce que j'espérais relativement au voyage à Lyon dont je t'ai parlé. Je savais qu'il se préparait de grands changements dans l'Université, qu'on allait, disait-on, rendre l'ordonnance ! Eh bien, elle ne l'est pas encore ; j'ignore encore si je serai conservé, il n'y a pas de possibilité pour moi de quitter Paris avant que le oui ou le non soit décidé, et cette décision va encore traîner.

Je t'écris sans pouvoir te dire ce que je ferai, mais je n'espère plus te voir bientôt, et cependant je ne l'ai jamais tant désiré ; jamais je n'ai autant senti le besoin de te voir, de te parler, de trouver dans ton amitié un remède au vie de pensées et de sentiments qui me dévore. D'un autre côté, où prendre le temps d'écrire ? Croirais-tu que j'ai commencé le 25 janvier une lettre à M. Davy qui m'avait écrit de Rome. Je vois cette date du 25 janvier, et cette lettre n'a été finie qu'aujourd'hui. Cela vient de ce que j'ai été 15 jours membre du jury de la Cour d'assises, et aussitôt après choisi par le Grand-Maître pour visiter deux des lycées de Paris avec un autre inspecteur M. Castel. Les examens ont fini dans le dernier de ces deux lycées hier, mais il reste à présent un rapport à faire à ce sujet ; par moment je désire presque d'être supprimé dans le grand changement en question ; on prétend qu'on donnera pour retraite à ceux qui sortiront la moitié de leur traitement, cet argent servirait, tant qu'on le payerait, à aller passer chaque année quatre mois à Lyon.

Je rêve alternativement de chimie et de psychologie, en projetant toujours de m'occuper exclusivement de mathématiques. Tu sais que mon esprit plein de dégoût de tout ce que je vois recherché avec tant d'ardeur par d'autres hommes ne peut s'attacher qu'à ce que je me figure comme devant porter la lumière dans d'autres siècles. Le temps où je ne vivrai plus est réellement celui auquel je m'intéresse le plus. C'est bien moins le monde actuel pour qui je désire bonheur et liberté que pour les peuples à venir. De même dans les sciences je ne puis prendre un vif intérêt qu'aux travaux qui se présentent comme pouvant en changer la face à quelques égards. Je vois deux travaux de ce genre, d'abord une chimie comme je l'ai conçue, comme j'y rêve presque continuellement, mais que je ne pourrais exécuter qu'avec des expériences qui exigeraient bien plus de temps, avec ma maladresse que ma vie n'en peut durer.

Ensuite, cette admirable psychologie résultant de la réunion de ce que j'avais fait à ce sujet avec les découvertes de M. de Biran [Maine de Biran]. Au reste, cela n'a pas réussi encore à beaucoup près à la Société Philosophique, dont je t'ai parlé. Je n'y ai rien lu parce que je n'ai pas eu le temps d'écrire. M. de Biran y a lu des notes faites à la hâte, dans un style obscur et, depuis qu'il est allé dans son pays chercher sa femme, les séances sont assez vides, sauf un tableau de la philosophie grecque que M. Degérando a lu dans la dernière et qui m'a fait grand plaisir. Il se trouvera dans son traité des méthodes * qui va bientôt paraître.

L'impression un moment suspendue, je continue de nouveau. De tous les membres de cette Société, qui comme tu sais se rassemble tous les quinze jours, il n'y a que Frédéric Cuvier, le frère du secrétaire de l'Institut, qui ait adopté les principes de cette psychologie, mais il y a encore un point qu'il répugne à admettre, malgré des raisonnements qui me semblent démonstratifs, et cela me fait une vraie peine [illeg]

Please cite as “L507,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L507