To Joseph-Marie Degérando   23 février 1815

Jeudi 23 février 1815

O le meilleur des amis ! Si je ne vous ai pas vu hier, c'est que je tentai d'abord une démarche pour parler à M. Guizot ; je ne parvins à le voir qu'avec assez de peine et c'était pour apprendre que je n'étais pas dans la liste signée la veille. Je fus chez vous alors. Vous étiez sorti et je vis Mme Degérando. Elle me demanda des nouvelles de ma situation et je lui dis ce que je venais d'apprendre. J'avoue que ce fut un surcroît de peine pour moi de ne pouvoir goûter du moins près de vous les consolations de la véritable amitié, de celle que vous me témoignez et à laquelle toute mon âme répond si vivement.

Ce matin je suis retourné pour vous voir, vers 10 heures et demie. Mais le portier, en me voyant traverser votre cour, m'a appelé pour me dire d'un air si vrai que vous étiez sorti depuis une demi-heure que je n'ai pas conçu le moindre doute à cet égard et que je me suis retiré plus triste que je n'étais venu. Je n'espère guère vous trouver à ces heures-ci ; mais, si je n'ai pas ce bonheur, je vous laisserai du moins cette lettre. La vôtre m'a comblé d'un sentiment de reconnaissance bien doux pour moi ; mais je n'ose pas laisser mon cœur s'ouvrir de nouveau à quelque espoir, qui, trompé ensuite, me rendrait cette exclusion de l'Instruction publique encore plus amère.

Ce soir, j'irai à la Société 1 d'après ce que M. Guizot m'a fait promettre hier au moment où je le quittais. Je ne sais si l'on m'y reparlera de ce qui vient de m'arriver ; mais ce n'est qu'en vous qu'il me reste un peu d'espoir pour leur faire comprendre un jour avec quelle légèreté on a décidé du sort de toute ma vie et mis le Conseil royal de l'Instruction publique dans l'impossibilité de savoir à l'avenir ce qui serait enseigné dans les provinces relativement aux différentes branches des Sciences physiques ou naturelles.

Je vous aime et vous embrasse, cher et excellent ami, de toute l'étendue de mon âme... Croyez que votre tendre amitié est la seule consolation qui puisse adoucir un chagrin aussi inattendu. Elle fera toujours le premier bonheur de ma vie. A. Ampère

A Monsieur le Baron Degérando, etc., Paris
(2) Trois pages 24 x 18. Manuscrit de la Bibliothèque de la Ville de Lyon, fonds Charavay, Recueil A. 1, folio 80. Adresse à la quatrième page.

Please cite as “L509,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L509