To Pierre-Simon Ballanche   31 octobre 1815

[907] 31 8bre [octobre] 1815

Je t'écris, cher ami, parce que j'espère que cette lettre m'en procurera une de toi, ce que je désire depuis longtemps. J'aurais bien dû t'écrire plus tôt. Mais enfin je ne l'ai pas fait : c'est ma faute comme c'est la tienne de n'avoir pas pensé à m'écrire de ton côté. Qui aurait pu penser que Ballanche et Ampère, l'un à Lyon, l'autre à Paris, laisseraient passer deux mois sans s'écrire ? Car tu es parti à la fin d'août et demain est le 1er novembre. De ces deux mois, l'un a passé sans que j'eusse un seul moment, examinant chaque jour de 9 ou 10 heures. L'autre ?... Ah, l'autre a disparu comme un éclair. Que m'en reste-t-il ? Des pensées qu'un autre mois effacera peut-être : le sentiment de la nullité de cette existence porté dans tout mon être plus profondément que jamais ; je ne sais quelle aspiration vers une autre seule consolation que l'on puisse trouver sur la terre quand on a comme moi tout perdu, quand rien ne charme plus la vie.

Camille t'aura parlé de ce qui m'a fait encore quelque bien. Depuis quinze jours je suis retombé sur moi-même. Je souffre continuellement au moral et au physique. Une fluxion m'a fait éprouver de grandes douleurs de dents ; mais ce n'est rien en comparaison de cet anéantissement[908] de l'âme... Quelques lettres de Bredin ont été le seul plaisir que j'aie goûté. Si tu m'avais écrit quelques lignes, ç'en aurait été un autre pour ton ami. Mais, si tu venais ici, si tu t'y fixais, quel plus grand bonheur ! Tu me l'avais fait espérer. Quelque chose y met-il donc obstacle ? écris-moi ce que j'en dois penser, et pour la chose même, et pour l'époque à laquelle je dois l'espérer. Du 1er novembre 1815 - J'ai dîné hier avec Dugas. Nous avons bien parlé de toi. Nous t'avons bien regretté. Mon ami, viens nous retrouver ; que fais-tu à Lyon ?

J'ai été interrompu hier avant d'avoir achevé cette lettre. Je voulais la faire longue aujourd'hui. Mais des personnes me sont venues voir, etc. Et je n'ai plus que le temps de te dire un mot pour profiter du courrier d'aujourd'hui. Comme il me tarde extrêmement d'avoir de tes nouvelles, je ne veux pas que le départ retardé d'un jour retarde aussi d'un jour ta réponse.

Dugas m'a communiqué une partie[909] de la dernière lettre que tu lui avais écrite et qu'il avait reçue le matin même. Que de choses nous aurions à nous dire sur un passage de cette lettre !... Mais quel volume il faudrait pour les écrire ! Viens à Paris ! Viens, que nous puissions causer de cela et de tant d'autres choses ! Si tu m'aimes, vois Camille et Bredin ; parle-leur de moi. écris-moi de quoi vous aurez causé, ce que vous aurez dit. Ce sera un petit dédommagement pour Ampère. Présente mes respects à ton père, à ta sœur ; embrasse pour moi tous nos amis. Donne-moi de leurs nouvelles. Je t'embrasse de toute mon âme. Adieu Ballanche, adieu cher ami. A. Ampère

[910]A monsieur Ballanche fils Imprimeur aux Halles de la Grenette, à Lyon

Please cite as “L522,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L522