To Pierre-Simon Ballanche   26 novembre 1815

[903] 26 9bre [novembre] 1815

Il y a déjà longtemps, mon bien bon ami, que j'ai reçu la lettre que tu m'as enfin écrite et qui m'a fait un grand plaisir, car je n'en ai plus d'autre dans ma vie que de voir arriver une lettre timbrée de Lyon et, en l'ouvrant, d'y trouver ton écriture ou celle de Bredin. Comment te faire comprendre à quel point je suis surchargé ; pas un moment, surtout depuis quinze jours que mon cours a recommencé ! Il y a eu deux leçons assez mal faites faute d'avoir eu le temps de les préparer.

Conçois-tu que Bredin ne m'écrive plus ! voilà trois lettres que j'ai [[fait]] partir depuis sa dernière. Chaque jour, j'en espère une. Cela m'inquiète et m'afflige au dernier point. Si tu le voyais, dis-lui donc combien son pauvre ami souffre de son silence. Mais je sais qu'il est aussi dévoré de chagrin et d'inquiétudes. Dupré [904] m'a communiqué la lettre alarmante que tu lui as écrite. Il a vu à ce propos M. Degérando et moi M. Huzard. L'un et l'autre sont persuadés que tes craintes sont sans fondement ; mais il s'en faut bien que je sois tranquille. écris-moi, je t'en prie, si, depuis cette lettre, tu as eu sujet de craindre moins ou davantage. Où en est l'opinion relativement à l'école vétérinaire et surtout, je t'en prie en grâce, les détails que tu sais sur la tentative d'incendie qui y a eu lieu, à ce que M. Huzard m'a dit hier, sans me donner aucune idée des motifs qui ont animé les auteurs de cette tentative ni des suites qu'elle a pu avoir.

Je souffre horriblement du silence de Bredin. J'ai assez d'autres sujets de peines déchirantes  ; pourquoi faut-il que celui-là s'y joigne encore ? L'existence[905] m'est tout à fait insupportable. Souvent je me vois forcé par l'insomnie et les inquiétudes à me lever la nuit, à allumer une chandelle et à souffrir en promenant, ou assis à rêver ; c'est comme un soulagement, car rester couché alors est un supplice inexprimable.

Mon bon ami, si tu m'aimes encore, écris-moi plus souvent ; donne-moi de tes nouvelles, de celles de ta famille et de tous nos amis. Les craintes dont tu me parles dans ta dernière lettre ne me paraissent nullement fondées, tu serais rassuré si tu étais ici. Tu entendrais les hommes de tous les partis se réunir seulement sur cette opinion que tout mouvement révolutionnaire en France est devenu à présent absolument impossible. La correction a été telle qu'elle a corrigé même les incorrigibles et, quand quelques têtes ardentes désireraient des troubles, où trouveraient-elles[906] des moyens ? Quel petit nombre de partisans ! Comme les plus audacieux en paroles sont, au fond du cœur, découragés, anéantis ! On ne parvient à séduire des masses d'hommes que quand on peut leur faire croire au succès des entreprises qu'on leur propose, et à présent !...

Adieu, bien cher ami, je t'aime et t'embrasse de toute mon âme. J'implore une lettre de toi. A. Ampère

A monsieur Ballanche fils Imprimeur aux Halles de la Grenette, à Lyon

Please cite as “L523,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L523