To Claude-Julien Bredin   10 janvier 1817

[10 janvier 1817]

Voilà, cher ami, la première lettre qui te soit adressée par Ampère sous une date de cette nouvelle année, où je suis parvenu avec un sentiment inexprimable d'espérance et d'effroi.

Mes visites d'obligation ne sont pas terminées  ; un rapport très court que j'avais promis avant le jour de l'an n'est pas commencé  ; et plusieurs autres également pressés ne le sont pas davantage. Mais ce que je me reproche sans comparaison plus que le reste, c'est de ne m'être nullement préparé à achever aujourd'hui la suite d'aveux que je fais à l'homme pieux dont je t'ai parlé. Que lui dirai-je dans quelques jours de l'emploi de ces huit jours ? Les voilà dissipés comme une fumée sans laisser de trace ! Ah, je l'espère, Dieu achèvera son ouvrage et donnera à mon cœur un nouvel élan vers lui.

Le 11 janvier. Je voulais t'écrire quelques observations sur une ancienne profession de foi faite à Tesseyre il y a deux mois. Mais ton n° 32, du 22 décembre, m'en a montré l'inutilité ; j'ai compris, en te lisant, que tu reconnaissais la supériorité évidente de la religion catholique sur toutes les autres sectes chrétiennes. Il n'y a certainement plus rien à t'objecter contre cet orgueil qui ferait choisir dans ce qui a été révélé, et dire par exemple : Je crois à la présence réelle, mais non à la transsubstantiation ; je crois à la rédemption des hommes par les mérites de Jésus-Christ, mais non à l'absolution du prêtre. Comme si cette opinion mixte n'était pas bien plus choquante pour la raison que la croyance de l'église catholique ? La présence réelle ne se peut concevoir sans un miracle ; quelle singulière idée de vouloir un demi-miracle, comme s'il était plus difficile à Dieu de changer la substance que d'en apporter une nouvelle en laissant l'ancienne et de faire, ainsi que l'a voulu Luther, une sorte de combinaison de substance grossière avec la substance divine !

Pour que l'âme soit lavée de ses crimes par les mérites de Jésus-Christ, il faut bien concevoir que Dieu l'en délivre ; pourquoi n'aurait-il pas accompagné ce miracle intérieur d'un signe extérieur qui nous en donne l'assurance et peut, seul, rendre la paix au pécheur ? Ce signe extérieur peut-il être manifesté autrement que par le ministère d'un homme que l'église de Dieu en a chargé ? Quel sens y aurait-il sans cela dans ce que dit aux apôtres leur divin maître : Tout ce que vous lierez, etc. Les chrétiens ne l'avaient-ils pas toujours compris ainsi, lorsqu'après la pénitence publique des premiers siècles, les pécheurs étaient réconciliés par le ministère des prêtres ?

Mais à quoi bon parler de tout cela, quand on a conçu les vues de Dieu ? L'essence de la religion catholique est toute dans la foi à l'autorité toujours visible et subsistante jusqu'à la fin des siècles, d'après les paroles de Jésus-Christ : Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle, et je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.

L'histoire des sectes religieuses, par le fameux abbé Grégoire, m'a montré qu'entre les deux moyens qu'avait la Providence pour la conservation de sa loi ,(une autorité unique toujours subsistante ou la raison de chacun), c'est le premier moyen qu'elle a choisi. Ce qui m'a fourni cette preuve, ce sont les 250 sectes créées en 100 ans, sectes toutes pleines de cet orgueilleux sentiment que chacune d'elles a seule la vérité et que toutes ne diffèrent le l'église permanente que pour en plier les mystères et les miracles de façon à faire perdre aux uns et aux autres toute leur subtilité, en les rendant encore plus contraires à ce qui nous paraît naturellement vrai, dans l'état d'ignorance où nous sommes.

Oh, quel bonheur pour ton ami si tu trouvais dans cette lettre, ou plutôt dans ce que Dieu t'inspirera en la lisant, la fin de toutes tes indécisions !

Please cite as “L544,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L544