To Claude-Julien Bredin   22 mai 1817

[133] 22 mai 1817

Cher ami, il y a plus de huit jours que je me lève chaque matin avec la résolution de t'écrire et que je me couche chaque soir avec le regret de ne l'avoir pas fait. J'avais deux lettres de mon ami auxquelles je n'avais pas répondu, j'en ai trois maintenant ; aujourd'hui m'est arrivé ton n° 54. Combien je te remercie de ne t'être pas rebuté de mon silence ! D'avoir pensé qu'il était involontaire, comme il l'a été en effet ! De m'avoir écrit ces lettres qui m'ont rendu bien heureux ! C'est depuis longtemps mon seul plaisir. Je le sens bien vivement et, plus je le sens, plus je regrette que ma tournée de cette année ne passe pas par Lyon.

Je n'ai eu que des chagrins relativement à la métaphysique. La réunion psychologique qui avait lieu chez M. de Biran tous les lundis, s'est dissoute comme celle de 1814 sans rien produire que de le dégoûter entièrement d'écrire ce qu'il a fait sur ce sujet de nouveau et d'important ; et ce qu'il y a de pire, c'est qu'il va publier des articles dans un nouveau journal, qui s'appellera, je crois : Archives morales, politiques et littéraires, dans[134] la seule vue, m'a-t-il dit, de concourir à donner une direction morale et utile aux doctrines psychologiques, et de prévenir les conséquences qui pourraient être tirées de son mémoire sur l'habitude, contre l'intention qu'il avait eue en l'écrivant, en faveur du matérialisme.

Certes, rien n'y est plus contraire que la doctrine qui nous est commune à lui et à moi ; mais il paraît qu'on l'a circonvenu, qu'on lui a fait appréhender de déplaire à un parti, que sais-je moi ce qui s'est passé dans son esprit. Mais ce qui me paraît clair, c'est qu'il ne publiera rien de sa théorie, et je vais rester seul en butte à ceux qui veulent combattre la vérité uniquement parce que ce n'est pas eux qui l'ont inventée. Je souffre beaucoup de cette idée et, si je n'avais appris à voir en tout la volonté de Dieu, j'en serais dans un vrai désespoir  ; mais que sa[135] volonté soit faite ! Peut-être avais-je besoin de cette épreuve pour réparer tant d'erreurs et d'offenses contre Dieu et contre la religion qu'il a donnée in ruinam et in resurrectionem multorum, suivant les paroles de l'écriture !

Au reste, si je n'ai rien écrit de suivi et de propre à imprimer, j'ai du moins résolu plusieurs difficultés de détail qui pouvaient m'embarrasser encore : particulièrement sur la première apparition du Moi dans la conscience, et sur la formation des conceptions ontologiques par lesquelles nous atteignons les substances immatérielles, l'espace vide où se meuvent les corps, et la durée nouménique. Cela n'a produit, dans le tableau que je t'ai envoyé, que des changements insensibles pour ceux qui n'en auront pas pénétré tout le sens. Les principaux sont une transposition dans l'ordre des phénomènes complexes du premier[136] système, et la conception ontologique placée dans le second immédiatement avant les premières communications de l'individu avec ses semblables et l'institution du langage.

Je voulais t'envoyer par Camille ce tableau ainsi corrigé ; mais j'hésitais encore sur un point que j'ai arrêté depuis, et cela m'a empêché de le faire. A présent, il ne me reste plus aucune difficulté ni aucun doute sur l'explication de tous les faits remarquables de l'intelligence, sur le nombre et l'ordre des 24 modes d'union du tableau entre les éléments de nos connaissances, et des 24 enchaînements de ces modes d'union. C'est toujours ce que je t'ai envoyé dans le temps, avec les deux altérations dont je viens de te parler.

Camille t'aura raconté le paquet de M. Degérando au sujet de Touchon ; il faut connaître les distractions 1 [illeg]

(2) La fin manque

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