To Claude-Julien Bredin   18 août 1818

[333] Paris Mardi 18 août [1818]

Cher ami, depuis que j'ai reçu ta dernière lettre, je projette tous les jours de t'écrire ; mais comment le faire ? Si tu savais ce qu'est ma vie depuis 18 jours que je suis de retour à Paris !

Examen à l'école Polytechnique, distribution de prix à l'Université, et demain commencer la récapitulation de tout mon cours à l'école Polytechnique. Ma maison encore pleine d'ouvriers qui ne font que des bêtises dès que je passe un jour sans y aller ! Il y en a eu tant pendant mon voyage à Caen ! Je ne peux pas penser ! Je n'ai pas trouvé le temps de revoir les feuilles du mémoire de mathématiques qu'on imprime dans le journal de l'école. J'en ai là depuis huit jours sur ma table. M. Huzard part demain : il m'a dit si j'avais une lettre pour toi à lui donner ce soir. J'écris un billet faute de temps.

On m'a interrompu, il est déjà tard et je n'ai plus assez de temps pour préparer ma récapitulation ; cependant je reprends la plume. Cette occupation[334] continuelle à vingt choses à la fois m'a mis dans un sentiment si pénible d'une tristesse sèche que je souffre extrêmement sans pouvoir dire de quoi. Je n'espère que dans le changement de lieu que j'éprouverai en allant habiter ma nouvelle maison pour sortir de cet état.

En attendant, une seule chose pourrait l'adoucir, ce serait une lettre de toi ; pourquoi ne m'écris-tu presque plus ? Ce silence m'est insupportable. A une lettre de toi un peu longue, j'en répondrais une longue aussi, parce que ce dont tu me parlerais me fournirait de quoi penser, appellerait mes idées sur un sujet quelconque. M. Huzard te racontera les admirables découvertes de Thénard en chimie. C'est une nouvelle carrière ouverte dans cette science. La psychologie vient pourtant pour moi de temps en temps suspendre cet ennui de tous mes moments ; mais à peine ai-je quelques moments à pouvoir m'en occuper. Oh, que je voudrais te[335] voir ! Quel besoin j'aurais de parler avec toi ! Si tu pouvais venir ici avec M. Huzard !

Que nous puissions passer quelque temps ensemble ! Dieu m'a fait de grandes grâces, auxquelles j'ai bien mal répondu, et ce chagrin du fond de l'âme dont je te parle est sûrement la peine que j'ai méritée en me laissant, à force de vaines occupations accumulées, aller à une paresse impardonnable pour les choses qui seules mériteraient d'occuper une intelligence dont le monde n'est pas le but 1. écris-moi, je t'en conjure. Mon mal de gorge est à peu près guéri. Ma sœur et mes enfants se portent[bien]. J'espère déménager avant 15 jours.

Donne-moi des nouvelles de toute ta famille et de tous[336] nos amis. Mais surtout parle-moi du plus cher de tous, parle-moi bien au long de Bredin, de ses pensées, de ses sentiments, de l'état de toute ton âme.

Ballanche, Dugas et Nizier t'aiment bien et se portent bien. L'autre jour, j'ai bu avec le dernier et deux autres à ta santé ; l'un est un jeune médecin qui t'aime bien et a le bonheur d'aller à Lyon ; il m'a dit qu'il te verrait ; quand donc aurai-je le même bonheur ? Mon Dieu, accordez-le moi ! Je t'embrasse de toute mon âme.

A monsieur Bredin directeur de l'École vétérinaire, à Lyon (Rhône)
(2) On retrouve les mêmes sentiments exprimés dans la méditation 332, à laquelle nous attribuons hypothétiquement cette date.

Please cite as “L565,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L565