From Antoine-Marie Derrion   18 janvier 1801

[1] Paris le 28 nivôse an 9 [18 janvier 1801]

Monsieur et cher ami, Excusez-moi, je vous prie, si j'ai tardé jusqu'à ce moment à vous écrire. Il y a longtemps que je me proposais de le faire de jour en jour, mais mes nombreuses occupations et un peu de négligence de ma part m'ont empêché de jouir plutôt du plaisir de m'entretenir avec vous. Je viens aujourd'hui avec beaucoup de satisfaction remplir le vœu de mon cœur, en vous donnant, sur l'école à laquelle j'appartiens, les renseignements que vous désiriez et en vous communiquant les peines et les plaisirs que j'éprouve ici.

L'école Polytechnique est divisée en deux grandes parties par rapport à l'enseignement. La première division est composée des nouveaux élèves et des anciens qui ne sont pas assez forts pour être dans la seconde ; la seconde n'est composée que d'anciens élèves. Chaque division est subdivisée en brigades de 20 élèves chacune ; à la tête de chaque brigade sont un chef et un suppléant choisis parmi les anciens élèves, chargés de maintenir l'ordre et la tranquillité dans leurs brigades respectives et de servir de répétiteurs aux élèves.

Dans la première division, on enseigne la géométrie descriptive,[2] l'analyse appliquée à la géom[étrie] descrip[tive], l'algèbre, le calcul différentiel et une partie du calcul intégral, \la mécanique,/ la physique g[énér]ale qui comprend l'exposition du système du monde, les éléments de chimie, le dessin. Dans la seconde, on enseigne les fortifications, les mines, le calcul différentiel et intégral, la mécanique philosophique de Prony, la physique, la chimie (les élèves travaillent dans les laboratoires), le dessin. Il y a une bibliothèque dans l'intérieur de l'école pour les élèves. Tous les élèves sont astreints à la plus g[ran]de assiduité à l'école pend[an]t les heures de leçons et d'études, qui ont lieu depuis 8 heures du matin jusqu'à 2 h après midi et le soir depuis 5 h jusqu'à 8. Ils sont soumis à une sévère discipline et ceux qui s'écartent de leur devoir subissent quelquefois les arrêts ordonnés par l'Inspecteur des élèves de l'école, chargé de surveiller leur conduite.

Dans ma division, on donne six leçons de géométrie descriptive par décade, quatre d'analyse, une de physique, deux de chimie et quatre de dessin. Nous avons vu jusqu'à présent une g[ran]de partie de la résolution des éq[uations] numériques par Lagrange et presque toute la géom[étrie] descriptive de Monge publié. On fait dessiner les fig[ures] de géom[étrie] descrip[tive]. Ce travail graphique occupe beaucoup de temps parce qu'il faut mettre beaucoup d'exactitude dans toutes les opérations qui souvent sont très longues. Voilà à peu près, mon cher et ancien maître, l'aperçu du travail de l'école Polytechnique. Vous voyez qu'il est immense puisque toutes les études se font en deux années. Il faut beaucoup de travail de la part de chaque élève pour suivre tous les cours avec fruit. J'oubliai de vous dire qu'à la fin de \chaque/ année il y a des examens, soit pour passer de la première division à la seconde, soit pour la promotion des élèves dans les services publics. Ce sont Legendre et Bossut qui examinent pour la de mathém[atiques] excepté la stéréotomie. [3] Lagrange ne donne plus de leçons à l'école ; Monge en donne peu ; p[ou]r la seconde division seulement. Lacroix professe l'analyse dans la même division.

Vous voyez, mon cher ancien maître, combien les moyens d'instruction sont grands dans cette école et combien celui qui aime et cultive la science a d'avantage.

Je vous avoue que je ne suis pas au courant de tout, malgré que j'emploie à l'étude tout le temps que j'ai, et que je travaille plus de temps [qu]'à Lyon dans les derniers mois ; mais mon travail actuel n'est pas aussi [ac]tif. Des chagrins causés par l'éloignement de mes parents e[t] l'isolement dans lequel je suis troublent mon esprit et il a[rrive] quelquefois au milieu des leçons, que je ne puis les suivre jusqu'à la [fin] parce qu'ils viennent occuper vivement ma pensée. Oh, qu'il a été heureux p[ou]r moi le temps que j'ai passé à étudier sous des professeurs tels que M. Roux et vous, auprès de mes chers parents ! Je m'en souviendrai toujours avec la plus g[ran]de satisfaction. J'étais parfaiteme[nt] content.

Adieu, mon cher ancien maître, je vous prie de me faire l'amitié de me donner de vos nouvelles, ainsi que \de/ celles de M. Roux, que je prie de recevoir l'assurance de mon respect et de mon attachement. Je vous embrasse de tout mon cœur. DERRION

élève de l'école Polytechnique, 1re division, 6e brigade. Mes compliments , je vous prie à Saint-Didier et à mes autres anciens camarades qui s'intéressent à moi si vous les voyez. J'ai vu votre ancien élève Laguette et Santhonax qui est toujours à l'école.

au citoyen Ampère, professeur de mathématiques, grande rue Mercière, n° 18, à Lyon.

Please cite as “L57,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 1 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L57