To Claude-Julien Bredin   24 janvier 1819

Dimanche, 24 janvier 1819
Cher ami,

pardonne-moi de ne pas t'écrire plus souvent, plus longuement, je ne le peux, je ne peux faire ce à quoi je suis le plus obligé. Je gémis tous les jours de ne pouvoir rien faire de ce que je devrais faire, ma vie est absorbée et coule sans laisser de traces. Je n'ai pourtant qu'un seul plaisir réel dans ma vie, c'est lorsque je reçois de tes lettres. Après, mais bien loin après celui-là, est la satisfaction que je trouve dans mon jardin (2), mais à peine ai-je le temps d'y descendre de temps en temps. C'est une chose singulière que le charme que j'y trouve, depuis que je l'ai fait arranger, et cependant il est encore comme de la terre qu'on vient de remuer en hiver, mais je vois d'avance ce gazon, ces fleurs et ces arbres comme ils seront dans deux mois, la vallée que j'y ai creusée pour pouvoir descendre par une pente dans la cour et non par des marches de pierre entre deux murailles comme autrefois, ce petit pont de bois qui passe par-dessus la vallée pour faire communiquer les deux parties du jardin et que je viens de faire construire, tout cela m'enchante, je ne sais pourquoi. C'est une puérilité que je sais bien, mais cela me fait une impression qui seule ressemble à celle des souvenirs. Je voudrais que tu m'écrivisses un de ces jours pour que je pusse lire une longue lettre de mon ami sur le petit banc caché parmi des touffes d'arbrisseaux où j'aime tant à m'aller asseoir.

N'ayant point trouvé Camille le jour que j'allais le voir pour l'affaire que tu m'as recommandée, je la lui ai expliquée dans une lettre que je laissai chez lui, en le priant de s'y employer de tout son pouvoir et d'en conférer avec M. Degérando pour qu'il y fit aussi son possible. J'ai écrit au même sujet à M. Stapfer, ancien ministre, pour qu'il en parle à un M. Marron, celui-ci se trouve proche parent de M. Gaussaire, comme je l'ai su depuis de M. Stapfer ; mais j'ai appris en même temps de lui que M. Gaussaire voulait rester à Saligny, qu'il tient par honneur à continuer d'y être l'appui et en quelque sorte le chef de ceux qu'on appelle à Genève les ultra-calvinistes. Je ne sais trop ce que c'est que cette petite église dans l'église genevoise, il paraît que M. Stapfer, sans s'en déclarer absolument le partisan, en fait grand cas comme d'hommes plus dévoués à ce qu'ils croient la cause du ciel que leurs adversaires. écris-moi ce que tu en sais, car sûrement tu connais bien cela et il paraît que j'avais eu tort de me laisser prévenir contre eux par ce que les journaux français disent de leur prétendue intolérance. Il faut que je sorte, et d'ailleurs, je n'ai que le temps de cacheter ce petit bout de lettre si je veux qu'il puisse partir aujourd'hui.

Je t'aime et t'embrasse de toute mon âme, puisse Dieu verser sur toi et sur ta famille toutes ses bénédictions. écris-moi tant que tu pourras.

A Monsieur Bredin, directeur de l'École royale vétérinaire, à Lyon (Rhône).

Please cite as “L572,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L572