To Buisson (notaire)   21 avril 1819

[845] Paris 21 avril 1819
Monsieur,

j'ai toujours des excuses à vous faire des embarras que je vous donne. En voici malheureusement un nouveau, pour lequel je réclame encore votre bienveillance pour moi, afin que vous me rendiez le service d'arranger la chose, sans qu'elle puisse avoir aucune suite fâcheuse pour moi. Des trois lettres de change que vous m'avez envoyées dernièrement montant à la somme de 7000 francs, celles qui valaient, l'une 1000 francs et l'autre 2000 francs et qui étaient des copies d'autres lettres de change acceptées et timbrées, déposées chez M. Hottinger et Comp. m'ont valu comme de l'argent ; mais il n'en a pas été de même de la troisième tirée sur MM. Perrier frères et montant à 4000 francs. Ces messieurs ont refusé de l'accepter et, comme elle n'était pas timbrée, je n'ai rien eu à faire, car on ne peut faire protester une lettre de change non timbrée qu'en payant une amende qui, dans ce cas-ci,[846] eût monté à environ 220 francs. On m'a dit qu'il aurait fallu que j'en fisse l'avance, mais que M. Majeur 1 aurait été contraint de me rembourser ces 220 francs. Je me serais bien gardé de le mettre dans le cas de faire cette perte. J'ai donc pris d'autres renseignements sur ce que j'avais à faire et M. Guérin de Foncin, banquier à Paris mais Lyonnais tout dévoué aux Lyonnais et qui m'a rendu souvent service, m'a conseillé de vous renvoyer cette lettre de change en vous priant d'engager M. Majeur à en faire une nouvelle qui soit timbrée ; il pense que ceux qui la lui ont fournie en feront une autre avec cette formalité indispensable. Bien entendu que vous ne remettriez celle-ci à M. Majeur que contre une nouvelle ou valeur équivalente.

Je n'écris cette dernière chose que pour vous, Monsieur ; car, M. Majeur se conduisant très bien avec moi et m'ayant écrit ces jours-ci une lettre dont je n'ai qu'à me louer, je ne voudrais rien vous écrire qui pût le[847] moins du monde le fâcher. Je lui ferai réponse ce soir, n'ayant pas le temps de lui écrire aujourd'hui avant le départ du courrier, en le remerciant de ses offres de service et en lui donnant les renseignements qu'il me demande. Je lui ferai part de ma mésaventure au sujet de cette lettre de change ; mais c'est à vous, Monsieur, que je m'adresse pour ranger tout cela avec lui. Je vous ferai remarquer que, si la lettre était timbrée, il paraît que M. Guérin de Foncin s'en serait chargé comme il s'est chargé des deux autres ; car, comme je n'entends rien aux affaires de ce genre, c'est à lui que je m'adresse dans tous les cas semblables et il me rend ce service avec une parfaite complaisance. Il m'a dit une chose que je vais aussi vous communiquer pour qu'elle reste entre nous ; car, comme je vais écrire à M. Majeur, il ne vous sera pas nécessaire de lui faire part de cette lettre, celle que je vais lui écrire contenant les autres détails relatifs à cette non-acceptation de la lettre de change tirée sur MM.[848] Perrier frères.

M. Guérin de Foncin me disait donc que je devais vous prier, quand vous donnez à M. Majeur des reçus de lettres de change pour partie du prix du domaine de Poleymieux, de réserver dans ces reçus l'hypothèque que j'ai sur le domaine pour le prix de la vente, dans le cas où les lettres de change viendraient à être protestées. Je pense que cela va sans dire et que vous l'avez sûrement fait déjà ; c'est donc une chose superflue de vous l'écrire et je ne l'aurais pas fait si M. Guérin de Foncin n'avait pas insisté pour que je vous en écrivisse un mot lorsque je lui fis l'observation que sans doute vous l'aviez fait. Il me dit aussi de vous prier de ne recevoir que des lettres de change timbrées ; mais c'est encore une chose inutile à vous dire, Monsieur, d'après ce que je viens de vous raconter de l'embarras où m'a mis le défaut de cette formalité relativement à la lettre de change de 4000 francs.

[849]Mon ignorance des affaires, et le peu d'habitude que j'ai d'en faire relativement à des sommes un peu considérables me mettent dans une sorte d'anxiété qui doit vous engager à me pardonner si j'entre dans tous ces détails ; jusqu'à votre réponse, je vais rester dans cette anxiété et c'est pourquoi je vous prie de me donner avis de ce que vous aurez convenu avec M. Majeur de faire pour ranger cette affaire dès que vous pourrez.

Je crois que, quand vous ferez le compte des intérêts avec M. Majeur, vous ne devez compter les payements comme effectués que de la date où les lettres de change doivent être payées : par exemple, pour les deux dernières que M. Guérin de Foncin s'est chargé de recouvrer pour moi parce qu'elles étaient en règle, que du 10 avril 1819 ; pour celle de 4000 francs sur MM. Perrier frères, si elle m'est renvoyée timbrée et en règle, que de la fin de mai prochain. Au reste, je ne dis cela que par ce qu'il me semble que c'est tout simple ; car vous avez agi dans toute cette affaire d'une manière si bonne pour moi que je[850] m'en rapporte entièrement sur toutes les choses de ce genre à ce que vous jugerez devoir être.

J'attends aussi votre réponse dans ma dernière lettre sur les sûretés à donner à M. Majeur relativement aux 1200 francs de mon fils afin qu'il puisse les payer, à présent que j'ai une propriété qui peut en répondre.

Je ferai cette année, en qualité d'inspecteur de l'Académie de Paris, une fournée dans le midi de la France ; je passerai à Lyon dans les premiers jours de juin ; mon premier soin sera d'avoir l'honneur de vous voir pour vous offrir l'hommage de ma vive reconnaissance. Je vous prie d'en agréer dès à présent l'expression, ainsi que celle du respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur le Conseiller de Préfecture, votre très humble et très obéissant serviteur. A. Ampère.

[851]P.-S. — Je suis d'autant plus fâché du contretemps qui résulte pour moi de la non-acceptation de cette lettre de change que, devant partir à la fin de mai, ou peut-être avant pour ma tournée, j'avais besoin à cette époque des 4000 francs pour ranger toutes mes affaires avant mon départ. C'est pourquoi je serais bien content si M. Majeur pouvait m'en envoyer une timbrée à la place de celle-ci pour le même argent à toucher à la même époque chez MM. Perrier. Une lettre de change en règle étant comme de l'argent, je pourrais régler toutes mes affaires dès que je la recevrai : ce qui m'arrangerait fort, et d'autant plus que ce serait plus tôt.

[852]A monsieur Buisson conseiller de préfecture chez M. Gabet, port du Temple, en face du pont volant, à Lyon (Rhône)
(2) M. Majeur est l'acheteur de Poleymieux.

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