To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   29 août 1820

[277] Paris le Mardi 29 août 1820

Voilà huit jours que je n'ai point reçu de lettre de toi, mon cher fils ; le temps me dure beaucoup d'en recevoir. Heureusement que j'ai eu de tes nouvelles par la lettre que tu as écrite à ma sœur et à Albine ; je l'ai jointe aux autres dans le recueil qui doit constituer ton journal. Il n'est pas encore trop fourni, c'est à mon grand regret, et l'idée que mon silence a pu diminuer le nombre de tes lettres est bien pénible pour moi. J'espère pourtant que ce n'est pas cela qui t'a empêché d'écrire la lettre pour moi que tu nous annonces dans celle à ma sœur.

Vendredi matin j'ai envoyé affranchir ma précédente lettre. Tu me ferais bien plaisir de me marquer le jour où tu l'auras reçue, parce que les lettres pour Berne ne partent que les lundis, mercredis et vendredis, et que je voudrais savoir si, à l'heure où elle a été affranchie, elle a pu partir le même jour, afin de me[278] régler pour une autre fois sur ce qui sera arrivé. Dans tous les cas, pour être sûr que cette lettre parte demain, je l'affranchirai avant 10 heures. Dis-moi aussi si ma précédente lettre t'a trouvé encore à Berne et si Adrien t'y a rejoint.

C'est pour être avec toi qu'il a changé tout le plan de son voyage et renoncé au projet de revenir par le Jura et Besançon. Mme de Jussieu ne se consolait de ce qu'il ne verrait pas cette partie et passerait deux fois à Lyon que par la pensée qu'il était avec toi et M. Stapfer. Ensuite elle a eu une idée, c'est qu'au lieu de revenir, soit par la route du Bourbonnais ou celle de la Bourgogne qu'il a tant de fois parcourues, vous revinssiez ensemble par Clermont en Auvergne où sont des vallées, des montagnes, anciens volcans et des plaines très remarquables et des plus belles de France. Vois avec lui et Stapfer si cela vous convient ! Tu sais que, de Lyon à Clermont, la route suit les bords du fameux Lignon dans la plus admirable vallée que j'aie vue dans toutes mes tournées.

[279] Tous ceux que tu aimes ici se portent bien. Mme Carron va mieux d'une manière très sensible ; le magnétisme l'endort d'après les nouvelles que m'a données M. Bertrand ; ce moyen paraît la cause de cette amélioration dans sa santé. Du 30 août - Ce n'était pas assez pour m'inquiéter au sujet du voyage d'Italie que les craintes dont je t'avais parlé dans ma dernière lettre. M. Stapfer m'en a donné une bien plus grande, celle d'une maladie contagieuse qui se serait montrée en Italie. Prends, je t'en prie, toutes sortes d'informations à ce sujet et, si c'était vrai, je suis sûr que tu as assez de tendresse pour moi pour renoncer alors à la partie de ton voyage qui, te conduisant en Italie, pourrait t'y exposer.

Au reste, j'ai vu hier soir Mme de Jussieu ; elle veut bien que son fils aille voir les lacs de la haute Lombardie, et même vous suive à Milan ; mais j'ai encore mieux connu que la première fois que nous en avons parlé, combien l'idée que[280] tu te séparasses d'Adrien, lorsque c'est pour voyager avec toi qu'il a changé tout le plan de sa route et renoncé au retour par le Jura et Besançon, serait pénible et même blessante pour Mme de Jussieu. Ainsi, dans le cas où il n'y aura pas de contagion ni d'autre danger en Italie, vous irez ensemble à Milan conformément à l'itinéraire tracé par M. Stapfer. écris-moi, je t'en prie, tous les détails que tu pourras sur vos plans de courses et ton itinéraire.

Mme de Jussieu vient de m'envoyer une lettre pour Adrien que je joins ici. Je regarde comme une chose bien heureuse pour toi de te trouver avec Adrien. Tu sais assez de botanique pour qu'en lui montrant les sites poétiques de la Suisse, il puisse t'apprendre les noms des plantes qui les décorent. Car c'est au même lieu que se trouvent les plus belles vues et les plantes les plus curieuses. Ce serait une bonne chose pour toi et qui m'intéresserait extrêmement quand tu me la communiquerais que la[281] liste de toutes les plantes que tu aurais cueillies ou vu cueillir par Adrien dans vos courses sur les montagnes et dans les belles vallées que tu parcours. Je saurais ainsi que tu as trouvé telle plante dont je chercherais aussitôt la description dans le Genera plantarum, au bord de tel glacier, sur telle montagne, à tel point de l'Oberland, ou de la vallée de Lauterbrunnen, près de la chute du Staubach, etc. J'attends avec la plus vive impatience la lettre que tu nous as annoncée. Puisse-t-elle m'arriver aujourd'hui ! Je voudrais pouvoir te donner des nouvelles de Ballanche et de Bredin ; mais je n'en ai reçu qu'une seule lettre et il y a déjà bien longtemps.

Au reste, cela vient de ce que, depuis que je suis ici, je n'ai eu le temps d'écrire qu'une seule lettre à l'un d'eux, il y a seulement quelques jours. J'ai voulu t'écrire celle-ci avant[282] de répondre à l'ancienne de Ballanche : ce que je ferai d'ici à deux jours.

N'oublie pas de prendre toutes tes mesures pour observer l'éclipse du 7 septembre ! Sautelet est guéri, il sortira bientôt comme avant sa maladie.

M. de Pradt, mis en jugement pour son livre sur les élections *, a été acquitté avant-hier au jury. Ma sœur, ma cousine et Albine t'embrassent bien tendrement. Ton papa plus tendrement que tous les autres. A. Ampère.

A monsieur le docteur Schnell, membre du grand conseil, professeur de droit. Pour remettre ou faire tenir s'il lui plaît à monsieur Ampère fils. rue de l'Isle, à Berne (Suisse)

Please cite as “L589,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L589