To Jean-Jacques Ampère (fils d'Ampère)   19 septembre 1820

[17] Paris 19 7bre [septembre] 1820

Rien ne m'a fait plus de plaisir, mon bon fils, mon plus cher ami, que tes deux lettres de Lucerne. J'étais tourmenté de n'avoir plus de tes nouvelles et, quand je les ai lues, j'étais comme un homme affamé à qui l'on apporte un excellent dîner à deux services plein de mets délicieux ; ces mets, c'étaient des pensées, des peintures, des sentiments, qui m'attachaient, me faisaient partager les impressions que tu as éprouvées dans cette belle Suisse, et m'enchantaient par leur analogie avec les miennes. Tu peins admirablement les lieux que tu as parcourus, et les détails relatifs à l'éclipse m'ont singulièrement intéressé. J'attends ton retour comme un moment bien heureux dans ma vie. D'après ce que tu me dis, je l'espère dans trois semaines.

Continue de prendre note de toutes les plantes que tu trouves dans ton voyage ! Si je peux au Jardin du Roi m'en procurer quelques-unes, je les cultiverai dans le mien et tu les y verras en mémoire de la Suisse. J'ai fait tes commissions autant que cela m'était possible ; car Fulgence n'est pas encore de retour et Prosper le Poitevin est allé passer un mois à la campagne. Sautelet avait eu une espèce de rechute, il va bien de nouveau ; ce que je lui ai dit de ta[18] part lui a fait bien plaisir.

Du 25 7bre [septembre] au soir J'ai eu bien tort et je me repens beaucoup de n'avoir pas fait partir cette lettre il y a trois jours. Je ne m'en consolerais pas si je n'espérais qu'en partant demain, elle te trouvera encore à Genève. J'allais l'achever pour la faire partir samedi dernier lorsque j'ai reçu la tienne datée de Meyringen à ton second passage par cette ville, où tu m'annonces ton départ pour le Saint-Gothard. C'est pour y répondre d'abord que je ne finis pas la mienne, croyant toujours la finir vendredi soir ; mais tous mes moments ont été pris par une circonstance importante de ma vie. Depuis que j'ai entendu parler pour la première fois de la belle découverte de M. Œrsted, professeur à Copenhague, sur l'action des courants galvaniques sur l'aiguille aimantée, j'y ai pensé continuellement, je n'ai fait qu'écrire une grande théorie sur ces phénomènes et tous ceux déjà connus de l'aimant, et tenter des expériences indiquées par cette théorie, qui toutes ont réussi et m'ont fait connaître autant de faits nouveaux. Je lus le commencement d'un mémoire à la séance de lundi il y a aujourd'hui[19] huit jours (2). Je fis les jours suivants, tantôt avec Fresnel, tantôt avec Despretz, les expériences confirmatives ; je les répétai toutes vendredi soir chez Poisson où s'étaient réunis les deux de Mussy, Rendu, plusieurs élèves de l'école Normale, le général Campredon, etc. Tout réussit à merveille ; mais l'expérience décisive que j'avais conçue comme preuve définitive exigeait deux piles galvaniques ; tentée avec des piles trop faibles chez moi avec Fresnel, elle n'avait point réussi. Enfin hier j'obtins de Dulong qu'il permît à Dumotier de me vendre la grande pile qu'il faisait construire pour le cours de physique de la Faculté et qui venait d'être achevée. Ce matin, l'expérience a été faite chez Dumotier avec un plein succès et répétée aujourd'hui à 4 heures, à la séance de l'Institut. On ne m'a plus fait d'objection et voilà une nouvelle théorie de l'aimant, qui en ramène, par le fait, tous les phénomènes à ceux du galvanisme. Cela ne ressemble en rien à ce qu'on en disait jusqu'à présent.

Je le réexpliquerai demain à M. de Humboldt, après-demain à M. de Laplace [20] au Bureau des Longitudes. Ta tante Carron va un peu mieux. J'ai été déjeuner chez elle avec ma sœur, ma cousine et Albine. Nous te regrettions tous beaucoup ; Ampère, qui se trouvait à Paris, en était. Tout le monde ici attend ton retour et t'adresse mille vœux. A l'exception de Mme Carron, tous ceux que tu aimes à Paris se portent bien. Lenoir et Dupré, à qui j'ai parlé de toi, sont partis samedi à 5 heures pour Lyon. Dupré ira de là à sa sous-préfecture de Saint-Flour en Auvergne, et Lenoir reviendra sous un mois à Paris. Je n'ai point de nouvelles récentes de Ballanche ni de Bredin, à qui je n'ai pas eu le temps d'écrire. Vois Roux, MM. Pictet et de Candolle à Genève ! Dis à Roux l'impossibilité où je suis de lui écrire. Mille choses de ma part à tes compagnons de voyage ! Ton papa t'embrasse mille et mille fois. A. Ampère

A monsieur J.J Ampère Poste restante à Genève (Suisse), Confédération helvétique

Please cite as “L590,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L590