To Claude-Julien Bredin   16 mars 1821

Paris 16 mars 1821

Cher ami, tu me reproches de ne pas t'écrire ? Que veux-tu que je fasse ? Depuis six semaines j'avais une lettre du grand H. Davy, je n'ai pu achever la réponse que ce matin. Je ne sais pas bien ce que l'on ne comprend pas de mon mémoire pour l'expliquer. C'est un ensemble d'idées toutes claires, mais je ne sais par où commencer. Si j'avais le temps d'en faire une bonne exposition je la publierais, mais j'ai beau parler clair, on ne veut pas m'entendre. Par exemple, lis, je t'en prie la fin de la page 7 et le commencement de la page 8 et dis-moi s'il est possible de définir plus clairement que par courant électrique j'entends un double transport, l'un d'électricité positive dans le sens que j'indiquerai chaque fois après ce mot courant électrique et l'autre électricité négative en sens contraire, j'ai bien soin d'avertir que je ne nommerai que le sens du transport de l'électricité positive, pour éviter des répétitions fastidieuses. Croyant cette définition bien fixée pour le lecteur, je dis page 55, et dans d'autres endroits de mon mémoire, qu'il y a dans la terre un courant électrique de l'Est à l'Ouest, d'après la définition précédente cela veut évidemment dire un double transport d'électricité, comme dans le fil conducteur, où l'électricité positive va de l'Est à l'Ouest, et la négative de l'Ouest à l'Est. Comment cela est-il obscur ? Cependant tu me demandes dans ta lettre pourquoi j'admets deux courants dans le fil conducteur et un seul dans le globe terrestre ? J'admets la même chose dans tous les deux, je me sers des mots dans le sens que j'ai défini.

Quelque longue que fût une lettre que je t'écrirais sur tout cela, elle ne serait pas plus claire que mon mémoire. Personne ne le comprend ? Je suis sûr que ce qu'ils cherchent à comprendre c'est la théorie dont je ne voudrais pas qu'on s'occupât encore, on l'adoptera de reste quand les faits seront bien connus. Ce sont les faits, les faits qu'il s'agit de bien connaître.

Est-ce que les physiciens de Lyon ne peuvent pas distinguer dans mon mémoire, malgré le peu d'ordre qui y règne parce que je l'écrivais à mesure de nouvelles expériences, les faits nouveaux des théories ? Ce sont ces faits au nombre de cinq ou six qu'on devrait du moins examiner, ils ont été découverts à l'occasion de celui que M. Œrsted a vu le premier, mais ils en sont d'ailleurs très indépendants.

Les fils conducteurs s'attirent, se repoussent d'après des lois opposées à celles des attractions et répulsions de l'électricité ordinaire, ils se dirigent mutuellement, ils sont dirigés dans un sens déterminé par le globe terrestre, toute action exercée sur un aimant par un conducteur voltaïque, la Terre ou un autre aimant est identique à l'action que ce conducteur, cette terre, cet autre aimant, exercerait sur un circuit voltaïque qui serait placé comme l'équateur où les parallèles à l'équateur de l'aimant qui reçoit l'action. Etc., etc.

Ma petite a été fort malade et moi bien inquiet pendant deux jours, c'était ce qu'on appelle à Lyon le sennepou ( ?), sorte de scarlatine. Depuis ce matin, l'éruption s'est faite et cela va bien. Je souffre beaucoup de la poitrine et il m'a fallu suspendre le cours de la Faculté. M. Cauchy m'y remplacera pour un mois ou six semaines. Du reste, les santés vont bien. Ballanche et Dugas ont dîné ici hier. Nous avons beaucoup jasé, surtout sur ce que l'avenir porte dans son sein, les vues de Dieu sur le monde et leur accomplissement malgré tous les obstacles. Il y avait sujet à cette conversation. Adieu, cher et excellent ami. M. Degérando va assez bien, Camille pas plus mal. Donne-moi des nouvelles des santés de Lyon. Ton ami t'embrasse. A. Ampère

Donne-moi des nouvelles de six exemplaires de mon mémoire de physique que le régisseur de l'école vétérinaire à qui je les ai donnés a dû porter à Lyon. Je t'en parle seulement pour qu'on les place bien : l'un à la Société d'Agriculture de l'Ain.

J'ai eu un grand chagrin hier en apprenant la mort de l'excellent abbé. Que j'ai de reproches à me faire de ne l'avoir pas vu depuis si longtemps.

Please cite as “L597,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L597