To Gaspard de La Rive   12 juin 1822

Paris 12 juin 1822
Monsieur,

à l'occasion du Mémoire de M. Faraday, vous avez ajouté à nos connaissances sur les phénomènes électro-dynamiques, un fait nouveau qui me paraît très important pour éclaircir la théorie de ces phénomènes. Je veux parler de la manière dont un conducteur voltaïque plié en anneau après que ses deux branches se sont appliquées contre un des côtés d'un aimant, lorsque le pôle de l'aimant répond à l'intérieur de l'anneau, glisse le long de ce côté en s'éloignant de son milieu, jusqu'à ce qu'une de ses branches, atteignant l'extrémité du barreau aimanté, tourne autour d'elle, et que l'anneau entourant alors ce barreau revienne à son milieu [illeg]

Je me bornerai dans cette lettre à vous exposer un résultat auquel je suis parvenu, il y a plusieurs mois, mais que je n'ai point encore publié, excepté l'indication que j'en ai faite dans une note jointe à l'Analyse des travaux de l'Académie royale des Sciences pendant l'année 1821, p. 22 et 23 de la partie mathématique par M. Delambre qui a bien voulu y consigner cette note. Vous avez, sans doute, reçu cette analyse qui a été publiée le 8 avril dernier. Voici en quoi consiste le résultat dont je parle.

Considérons d'abord un aimant cylindrique DC comme ayant autour de chacune de ses particules des courants électriques, qui, d'après ma théorie, seront dirigés du côté qu'on voit dans la figure, comme l'indiquent les flèches de cette figure, lorsque l'extrémité D sera le pôle austral et l'extrémité C le pôle boréal.

Supposons d'abord, quoique cela ne soit pas probablement ainsi, que ces courants soient tous de la même intensité et dans des plans perpendiculaires à l'axe de l'aimant DC, et qu'on en approche, dans une direction perpendiculaire au plan de la figure, un fil conducteur dont la projection soit en E. Si le courant de ce fil conducteur va de l'espace antérieur au plan de la figure à celui qui est postérieur au même plan, il sera attiré par tous les courants des particules de l'aimant. Abaissons sur cet aimant du point E la perpendiculaire Eo et, à partir de l'extrémité n de l'aimant, prenons oM = on, en décomposant, parallèlement à l'axe de l'aimant, les attractions exercées par les particules de cet aimant sur le fil conducteur projeté en E sur le plan de la figure. Il est évident que les composantes parallèles à l'axe CE, résultant des attractions des particules situées dans les intervalles oM , on, seront égales et opposées, en sorte qu'elles ne tendront à produire dans ce fil conducteur aucun mouvement parallèle à CD ; mais il restera les composantes des forces attractives des particules situées dans l'intervalle Mf, qui le feront mouvoir vers f jusqu'à ce qu'il atteigne le milieu de l'aimant : point auquel il devra s'arrêter après avoir oscillé de part et d'autre de ce milieu. C'est ce que vous avez vérifié, dans vos ingénieuses expériences, sur l'anneau voltaïque flottant.

Si le courant du fil conducteur projeté en E allait, au contraire, de l'espace postérieur au plan de la figure, à l'espace antérieur, il y aurait répulsion entre ce fil et toutes les particules de l'aimant ; les répulsions de composées, parallèlement à l'axe des particules situées dans les intervalles oM, on, se détruiraient encore mutuellement, et il resterait les répulsions provenant des particules de l'intervalle Mf, qui repousseraient le fil conducteur vers l'extrémité n de l'aimant dont il est le plus près, comme vous l'avez aussi vérifié.

Cette action parallèle à l'axe de l'aimant est, dans les deux cas, d'autant plus grande que le point E est plus loin du milieu de cet axe, parce que la portion Mf, qui la produit, est alors plus grande et que la distance Mo à laquelle elle agit est plus petite.

Représentons maintenant par la figure 2 la section faite dans un aimant par un plan qui passe par son axe. Soient A l'extrémité de cet aimant, qui se dirige vers le Nord, et B celle qui se dirige au Midi ; les courants de chacune de celles des particules de l'aimant qui se trouvent dans l'axe ne pourront qu'être dans des plans perpendiculaires à cet axe, et leurs directions, d'après la situation que nous supposons aux pôles de cet aimant, seront, dans la partie supérieure de chacune de ses particules, celles qu'indiquent les flèches marquées sur l'axe de A en B.

Considérons maintenant les courants électriques des autres particules formant des séries parallèles à la série AB ; il résulte de ce qui précède que les parties de ces courants les plus éloignées de l'axe tendront, par l'action de ceux de la série AB, et successivement de toutes les séries comprises entre l'axe et la série que l'on considère, à se porter vers le milieu de l'aimant, tandis que les parties des mêmes courants qui se trouvent du côté de l'axe tendront à être repoussées vers l'extrémité de l'aimant la plus voisine. Les plans des courants électriques des particules des séries latérales devront donc, en vertu de cette action, se disposer dans des plans d'autant plus inclinés à l'axe de l'aimant qu'elles seront plus éloignées de cet axe et s'écarteront davantage de son milieu ; en sorte que ces courants, dans la partie supérieure de chaque particule, devront prendre la direction marquée par les flèches de la figure dans toute la masse de l'aimant.

D'après les calculs de M. Savary, confirmés en ce point par les expériences de M. Faraday sur les fils conducteurs pliés en hélice, que ce célèbre physicien a consignées dans son Mémoire du 11 septembre 1821, les points auxquels on donne dans l'aimant le nom des pôles, devraient être situés précisément à ses extrémités, quand on suppose que tous les courants électriques d'un aimant sont situés dans des plans exactement perpendiculaires à son axe, et qu'ils ont tous la même intensité. C'est ce qui n'a pas lieu pour les aimants ordinaires, mais seulement pour ceux qu'a construits, avec des fils d'acier extrêmement fins, un jeune physicien de Paris, déjà célèbre par ses belles recherches sur l'électricité développée par la pression 1.

Or, il est aisé de voir qu'indépendamment de ce que cet effet serait produit par une intensité variable des courants, qui serait d'autant plus grande que ces courants seraient plus près du milieu de l'aimant, ainsi que je l'ai admis d'abord, ce même effet est une suite nécessaire de l'inclinaison ries plans des mêmes courants, dans le sens que je viens d'indiquer. Il l'est également de voir que le même fil conducteur qui est attiré dans l'intervalle des deux pôles doit être repoussé au delà ; que les deux extrémités de deux aimants qui portent des noms contraires doivent s'attirer non seulement quand les axes des deux aimants sont en ligne droite, mais encore quand ils sont dans la position représentée dans la figure 3. Cette inclinaison des plans des courants électriques des aimants donne une solution plus complète que celle dont je me suis servi dans le post-scriptum de la lettre à M. van Beek, que vous avez pu lire dans l'exemplaire de mon recueil que vous a remis M. Pictet.

Il ne reste plus qu'à voir pourquoi, dans l'observation nouvelle que vous doit la Physique, quand les deux branches du fil conducteur plié en anneau se sont appliquées contre l'aimant, elles glissent jusqu'à ce qu'une d'elles atteigne son extrémité ; mais c'est encore là une suite nécessaire de ce que la plus voisine du milieu de l'aimant est attirée vers ce milieu, et que la plus éloignée en est repoussée avec une force évidemment plus grande que la force attractive exercée sur l'autre branche, ces deux forces étant parallèles à l'axe de l'aimant, et la seconde étant exercée sur une branche de fil conducteur plus éloignée du milieu de l'aimant. Je suis, etc. Ampère

(2) A. BECQUEREL, Annales de Chimie et de Physique, 2e série, t. 12, 1823, p. 113.

Please cite as “L618,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L618