To François Carron (frère de Julie)   8 avril 1801

18 Germinal An IX [8 Avril 1801]

Que j'ai de remerciements à te faire, mon bon frère, mon véritable ami, de toutes les peines que tu t'es données pour moi ! Si le temps m'a manqué pour répondre plus tôt à la lettre que tu m'as fait le plaisir de m'écrire, j'en ai bien voulu aux occupations qui m'en ont empêché. Je ne me ressouviens guère de ce que je t'ai écrit dans ma précédente au sujet de notre position à tous deux. Je crois que je faisais des souhaits pour ton bonheur et celui de ta femme ; mais j'étais bien loin, en te confiant les embarras de Julie et le chagrin que j'en ressentais, de penser à envier ton sort. Je sais bien, hélas, combien tu as été longtemps en butte à mille peines, éloigné de tout ce qui t'était cher. Je sais bien que même à présent ta position n'est pas celle où je voudrais te voir. Paris est trop loin de Lyon.

Je voudrais me rappeler précisément de ce que j'ai pu te dire dans cette lettre que je suis bien fâché d'avoir écrite puisqu'elle t'a causé quelque déplaisir. Je sais que je l'écrivais sans beaucoup de réflexion, tout occupé des élèves qui venaient de me quitter, quoiqu'il ne m'en restât déjà qu'un nombre très médiocre et j'épanchais mon chagrin dans le cœur de mon frère. Il m'en est venu quelques nouveaux depuis lors, d'autres m'ont quitté. Ce seront les soins que tu as donnés à l'affaire que je t'avais recommandée qui, je l'espère, me procureront quelque chose de plus fixe, soit que l'établissement en question ait lieu à Lyon, ou quelque chose d'équivalent. Quant à toi, je me flatte toujours que la fortune réparera un jour ses torts envers toi et que, réunis tous ensemble, nous verrons nos enfants croître autour de nous pour jouir d'un bonheur plus tranquille et moins semé d'inquiétudes. N'est-ce pas, mon bon ami, que ces vœux ne te feront pas de la peine : ils sont, j'en suis sûr, si bien d'accord avec les tiens.

Il faut que je te parle aussi de ton petit neveu. On lui a mis aujourd'hui pour la première fois de petits souliers rouges 1 : je lui ai aidé à marcher pour aller vers sa mère, ma Julie lui aidait aussi à son tour et j'ai goûté un grand plaisir à ce petit exercice. Que sera-ce quand il pourra marcher réellement et parler ? Tu auras bientôt le plaisir de voir ton Élisa et tu sentiras alors combien l'enfant que ma Julie m'a donné doit m'en procurer. Ce pauvre petit a déjà bien de la connaissance. Il crie quand sa Maman fait semblant de me battre et s'efforce des pieds et des mains pour se débarrasser de nous tous et aller vers elle. Il faut que je compte bien sur ton amitié pour tout ce qui tient à ta sœur cadette, à ta petite Julie, pour te conter toutes ces petites choses. Mais, vois-tu, quand j'écris à d'autres moi-même, je laisse ma pensée du moment gouverner ma plume.

Adieu mon bon ami, tu sais bien comme tu es aimé dans cette maison. Julie y met tout à l'unisson de son cœur. Bientôt elle apprendra au petit Jean Jacques à répéter le nom de son oncle de Paris et de sa Tatan Agarite, qu'il ne verra peut-être pas de bien longtemps. Si tu ne viens pas le voir, il faudra pourtant que je te le mène. Adieu, je t'embrasse de toute mon âme. A. AMPÈRE.

Au citoyen Carron, chez Mercey, rue Cérutti N° 16, à Paris.
(2) Jean-Jacques Ampère avait 7 mois.

Please cite as “L62,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L62