To Frédéric Maurice (baron)   6 juillet 1822

[230] Paris 6 juillet 1822

J'ai mille et mille remerciements à vous faire, mon très cher confrère, du billet que vous m'avez écrit hier. Je ferai l'écrit synthétique quand je pourrai ; mais voici deux ou trois observations qui me viennent à l'esprit en lisant l'opinion de l'inconnu.

Vous êtes plus content que lui de mes développements parce que nous avons parlé et qu'il a lu. Je ne sais me faire comprendre presque qu'en parlant. Je suppose malgré moi que, quand on me lit, on refait dans sa tête ce que je veux dire comme je refais ce que je lis : par exemple, quand j'ai dit : la Terre agit comme un courant[231] électrique allant par rapport à lui de l'Est à l'Ouest en passant par le Sud, cela veut évidemment dire, puisqu'il faut bien qu'il fasse le cercle entier que, par rapport à nous, elle agit du côté du Midi comme un courant allant de l'Est à l'Ouest, du côté de l'Ouest comme un courant allant du Midi au Nord, du côté du Nord comme un courant allant de l'Ouest à l'Est et du côté de l'Est comme un courant allant du Nord au Sud. Projetez le méridien magnétique où le courant est réellement partout clans la direction de l'Est à l'Ouest sur le plan de notre horizon, vous aurez cette ellipse où les flèches marquent la direction du courant. [diag]

Je suis bien loin de vouloir que la chose reste telle quelle. Je travaille constamment à la perfectionner. Je voudrais que beaucoup de personnes y travaillassent aussi, est-ce qu'on a jamais mis une chose à sa perfection du premier coup ? Prenons un exemple, si parva licet componere magnes, Copernic dit : Le Soleil est immobile,[232] les planètes tournent autour de lui dans un cercle excentrique, ou dans un épicycle porté sur un cercle concentrique, ce qui revient au même ; puis on trouve que c'est dans une ellipse, puis que le Soleil n'est pas exactement immobile, que le centre de gravité du système planétaire qui en est très près peut seul être immobile, sauf encore l'attraction des étoiles. Maintenant il paraît établi que ce centre de gravité chemine dans l'espace. Voilà comme se font les sciences.

Tout ce que je désire, c'est que d'autres physiciens s'occupent du même sujet pour le perfectionner en partant es bases que j'ai posées et qui sont incontestables en les réduisant à ce qui suit :

Les conducteurs voltaïques s'attirent et se repoussent dans les divers cas que j'ai déterminés, la pile elle-même est comprise dans les conducteurs.

Il en résulte la direction d'un conducteur par un autre, ou son mouvement toujours dans le même sens, dans[233] les cas que j'ai déterminés, tous conséquences nécessaires d'une seule et même loi.

Cette loi pour deux fils conducteurs, soit qu'on l'exprime en sinus et cosinus des trois angles , , , ou en différentielles partielles de la distance des deux portions infiniment petites des conducteurs que l'on considère, est démontrée directement par la réunion de mes deux expériences d'équilibre exact.

La Terre agit comme un conducteur voltaïque qui en ferait le tour dans la direction de l'Est à l'Ouest. J'ai fait là-dessus en dernier lieu nombre d'expériences, j'ai trouvé l'équivalent de l'action attractive ou répulsive, celui de l'action directrice, celui de l'action toujours dans le même sens. J'ai la plus grande impatience de connaître l'expérience de M. de La Rive qu'on annonce comme contraire à ce résultat confirmé de tant[234] de manières, ne serait-ce pas une suite de ce que je n'ai pas expliqué convenablement, ce qui doit résulter de ce courant terrestre, ou bien faudrait-il dire de la Terre ce que j'ai reconnu pour les aimants, sur ce que leurs courants sont autour de chaque particule ?

Les aimants agissent dans tous les cas comme si leurs particules étaient chacune entourée d'un courant électrique dont le plan fût perpendiculaire à l'axe de l'aimant pour toutes les particules qui sont dans l'axe lui-même, mais incliné sur la direction de cet axe dans le sens où tend à les incliner l'action mutuelle de tous les courants de l'aimant, ainsi que je l'ai expliqué dans ma dernière lettre à M. de La Rive. C'est cette inclinaison dont il est question dans la lettre quand on parle que j'ai fait un changement à ma théorie à cause de l'expérience de M. de La Rive [235] dont j'ai parlé dans la notice lue à la séance publique du 8 avril dernier. J'espère bien que ce ne sera pas le dernier de ces changements de détail que j'y apporterai, car les théories de ce genre ne se perfectionnent qu'avec le temps. Aurait-il fallu rejeter la théorie de l'attraction parce que la précession des équinoxes ou l'aplatissement de la Terre donnés par l'observation était moindre que ce que donnait le calcul en supposant la Terre homogène ? Non, mais il fallait dire : la Terre n'est pas homogène.

C'est l'observation de M. Faraday sur ce que les pôles des hélices sont exactement à leurs extrémités et non pas ceux des aimants, qui m'a donné cette idée de l'inclinaison des courants des particules qui ne sont pas dans l'axe. Mais il est vrai que c'est l'expérience de M. de La[236] Rive qui m'a confirmé dans cette vue sur la situation des courants de l'aimant. On trouve ainsi une différence entre les aimants et les hélices. Faut-il dire : les aimants ne doivent pas leur action à des courants électriques ? Non, mais il faut dire : ces courants sont inclinés sur l'axe des aimants là où ils doivent l'être en vertu de l'action mutuelle de tous les courants de l'aimant. Voilà, je le répète, la marche à suivre dans les sciences où chacun peut perfectionner ce qu'ont fait les autres.

Jusque-là, il n'y a pas proprement d'hypothèse, mais des analogies données par un grand nombre de faits. Il est certain qu'elles suffisent pour prévoir d'avance, (voyez le mémoire que j'ai dernièrement envoyé à Genève), tout ce que je connais relativement[237] à l'action entre un conducteur voltaïque et le globe de la Terre ou un aimant. Je ne connais pas l'expérience dont vous me parlez faite par M. de La Rive sur l'action terrestre. Je désire bien vivement la connaître pour voir si elle contredit en effet l'ensemble de tous les autres phénomènes électrodynamiques produits par le globe, qui s'accordent avec l'analogie d'effets que j'ai établie entre la Terre et les courants dirigés de l'Est à l'Ouest.

Si l'on désire à Genève connaître à fond l'état de la question, il faudrait s'y procurer l'appareil que M. Pixii vient de faire pour moi et que je l'ai autorisé à céder à ceux qui pourraient le désirer à la charge de m'en faire un pareil. Il est également propre pour vérifier les faits connus et pour faire de nouvelles recherches. J'y ai ajouté[238] de nouvelles dispositions pour les actions produites par le globe terrestre et pour l'expérience qui me sert à déterminer le nombre K. Il coûte 400 francs. Si je savais de le trouver à Genève j'y irais infailliblement au mois d'août prochain et toutes les questions seraient bientôt décidées par les expériences qu'il me servirait à faire avec les savants de cette ville à laquelle ceux qui cultivent les sciences doivent tant de reconnaissance.

Je vous prie, mon très cher confrère, d'agréer tous mes remerciements de votre aimable communication ; je suis on ne peut plus reconnaissant de cette nouvelle preuve de votre amitié pour moi. Tout à vous pour la vie. A. Ampère

[239]à Monsieur le Baron Maurice, rue de Bourbon, n° 55, à Paris

Please cite as “L620,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L620